« Izis Paris des rêves », exposition présentée en accès libre jusqu’au 29 mai à l’Hôtel de Ville de Paris, offre un large panorama de l’œuvre de ce photographe méconnu quoique reconnu, témoin discret de la misère et de la poésie de ceux « d’en bas ». Comptant parmi les « cinq grands de la photographie humaniste », Cartier-Bresson, Doisneau, Ronis et Brassaï, exposés avec lui au MoMA de New York dès 1951, Izraëlis Bidermanas, dit Izis (1911-1980), reste de loin le moins connu. L’hommage que lui rend cette exposition, avec un très soigneux catalogue* établi par son fils, Manuel Bidermanas, et Armelle Canitrot, tous deux professionnels de la photo, était des plus nécessaires. Il répare un oubli et permet à beaucoup de visiteurs de découvrir à travers cette œuvre des aspects oubliés des Trente glorieuses, saisis par un regard remarquablement sensible à la vie quotidienne des gens les plus ordinaires, mais toujours soucieux de la qualité et de la pudeur de son expression. C’est peut-être ce qui a nui à son renom. Les gens endormis au bord de la Seine, les manèges, les cirques, le rêve, la flânerie, les amusements populaires qu’il photographiait au point d’en faire des livres ont pu donner l’idée d’un dilettante ne s’intéressant qu’aux « à-côtés de la vie » les plus anecdotiques. Si André Breton put écrire de lui, en 1950, « Izis seul sait encore faire des yeux de cristal », c’est que beaucoup de ses images viennent en effet rappeler que « la vraie vie est ailleurs ». Mais pour citer à nouveau Rimbaud, Izis fut à la fois un « horrible travailleur » et un miraculé de l’histoire, conscient des enjeux de son époque et attentif à les signaler par touches discrètes, même dans ses photographies apparemment les plus éloignées de la politique. Juif lituanien très tôt passionné d’arts plastiques, il émigra à Paris en 1930 pour y subir toute la misère des « sans-papiers » de cette terrible période. Il ne s’en sortit qu’en devenant ouvrier retoucheur de modestes studios de quartier spécialisés dans la photographie de mariés et de bébés, et n’échappa à l’obscurité du laboratoire qu’au sortir de l’Occupation, où il avait fui les rafles antisémites en se cachant dans les monts d’Ambazac, près de Limoges et d’Oradour-sur-Glane. Avec les étonnants portraits de résistants qu’il réussit à exposer juste après la Libération, il se fit un nom d’artiste et rejoignit les rangs des photographes professionnels, non comme sociétaire d’une agence prestigieuse, mais comme salarié à Paris-Match, de 1949 à 1969, restant attaché à sa culture ouvrière et à son savoir-faire d’artisan. Le thème du rêve qui anime l’exposition (« rêves de Libération », « de Paris », « de Paradis », « de cirque », etc.) indique parfaitement ce que Izis a cherché, et réussi bien souvent. Mais au prix de quels efforts et de combien de retouches ! Il n’est pas si facile qu’on croit de s’approcher aujourd’hui de « la vraie vie », et voilà qui peut justifier le travail artistique dans cette société-ci.Gille Bounoure * Catalogue Izis Paris des rêves, Flammarion, 200 pages, 250 photos, 35 euros.
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Izis Bidermanas