Avant même que la crise ait produit ses pires effets, le développement de la pauvreté en France a connu une accélération. Les rapports réalisés par le Secours catholique et la Fondation Abbé Pierre en témoignent.
Deux rapports de très grande qualité intellectuelle et humaine viennent de sortir.
Le premier, publié en novembre 2009, a été réalisé par le Secours catholique et concerne la pauvreté en 2008. Il donne un constat très sombre des déshérités de l’Hexagone, dont le nombre est malheureusement à la hausse. Le second, rédigé par la Fondation Abbé Pierre et publié le 1er février 2010, a eu – curieusement – les faveurs des médias officiels qui, l’espace d’une journée, ont parlé des 10 millions de mal-logés en France et de leur cortège de misères : absence de chauffage, loyers impayés, nombre d’expulsions à la hausse…
La lecture de ces deux documents nous apprend beaucoup sur l’incroyable déchirure du tissu social, au moment où l’ampleur du chômage est la pire de ces 35 dernières années.
La pauvreté augmente
Avec la hausse du chômage, le nombre de personnes arrivant en fin de droits devrait atteindre un million en 2010 écrivait le Secours catholique, le 19 janvier.
Mais son rapport sur la pauvreté, intitulé « La pauvreté au féminin », donne une image extrêmement juste et sensible de l’augmentation importante du nombre de personnes que cette association accueille.
Après deux années de baisse, les chiffres sont repartis à la hausse en 2008, avec une augmentation de 2,3 % sur une année. Le Secours catholique a ainsi eu à « traiter » 633 000 situations, ce qui représente environ 1 450 000 personnes (780 000 adultes et 670 000 enfants).
La crise qui sévit à partir de septembre 2008 se fait ressentir. Des personnes qui jusque-là parvenaient difficilement à s’en sortir subissent plans sociaux, d’ajustement, fins de contrat d’intérim et se tournent vers les services sociaux. Ces derniers n’ont pas d’autres solutions que de les adresser au Secours catholique. Ce qui en dit long sur la gestion de la pauvreté par l’État.
Selon le rapport, 90 % des personnes rencontrées par l’association sont en dessous du seuil de pauvreté.
Un des point marquants de l’étude est le vieillissement de la population dont les ressources sont insuffisantes pour vivre. Ainsi, la tranche des 50-59 ans représentait en 2008, 8,4 % de l’ensemble des personnes accueillies en 2008 contre 6,8 % en 1999. En outre, un quart d’entre elles sont inactives pour raison de santé. Ce qui relativise largement le discours du gouvernement sur l’augmentation de l’espérance de vie qui devrait nécessairement conduire à travailler plus longtemps.
Globalement, en 2008, les personnes qui ont recours au Secours catholique sont bien plus éloignées de l’emploi qu’il y a dix ans. À cet éloignement professionnel, s’ajoute un isolement de plus en plus grand, le plus souvent consécutif à une rupture avec la famille ou le conjoint.
Les jeunes sont ceux qui souffrent le plus de l’exclusion : les moins de 20 ans représentent en effet 42 % des personnes accueillies et les 20-29 ans, 26,6 %. Le travail n’est pas un rempart contre la pauvreté, en raison du développement des travailleurs pauvres recrutés en CDD et à temps partiel, ce dernier ayant bondi de 8 % en 2005 à 18 % en 2008.
Les femmes sont durement touchées
Le rapport insiste sur l’augmentation du nombre de femmes qui se retrouvent en situation de pauvreté. Selon l’Insee, 13,9 % d’entre elles sont concernées, contre 12,5 % des hommes. Ces constats se retrouvent au Secours catholique puisqu’en 2008, les femmes représentent 54,4 % des adultes rencontrés, contre 45,6 % pour les hommes. En 1989, l’association accueillait 51 % de femmes : l’augmentation est de 3,4 % en vingt ans.
Elles sont de plus en plus nombreuses à vivre seules avec des enfants à charge, ce qui contribue à les éloigner de l’emploi. Ainsi, 42 % des femmes accueillies vivent de transferts sociaux. Le rapport distingue cinq types de femmes :
La jeune précaire (6 %). Elle est très jeune, à la rue car en rupture avec sa famille. Elle vit en bande, a un chien, s’habille en garçon, et effectue de temps en temps de petits boulots.
La jeune mère (27 %). Elle est un peu plus âgée, a un logement et des enfants. Elle travaille peu et recherche peu à travailler. En situation de rupture avec son conjoint, elle vit essentiellement de transferts sociaux.
La femme en couple avec enfants (17 %). Elle a 25-30 ans, un logement et une famille nombreuse. Dans le couple, un des deux travaille. Mais elle connaît un fort surendettement et souvent des problèmes de santé.
La mère seule avec enfant (20 %). Elle a plus de 40 ans et vit essentiellement de transferts sociaux, même si elle est à la recherche d’un emploi.
La femme âgée sans enfant (30 %). Elle a plus de cinquante ans et ne retrouve pas d’emploi, en raison de son âge. Elle vit de transferts sociaux et connaît des problèmes de santé physiques et psychiques en relation directe avec l’usure provoquée par une vie difficile et triste.
L’intérêt du rapport du Secours catholique est de donner un visage – de femmes – à la pauvreté. De même que lors de la grande récession, aux États-Unis, les photographies des chômeurs, au visage lessivé, marchant sur les routes sans plus aucun but, ont favorisé la prise de conscience de la nécessité d’agir, autant, sinon plus, que le chiffre de 15 millions de chômeurs officiellement constaté à cette époque. De même, il est très important de montrer que la misère incroyable dans laquelle s’engluent aujourd’hui beaucoup d’hommes et de femmes a un visage, afin de rompre avec cet océan d’indifférence, qui, à droite comme au PS, recouvre le problème du chômage.
Fondation Abbé Pierre, 10 millions de mal-logés
En France, en 2010, plus de 10 millions de personnes sont mal logées. La Fondation Abbé Pierre dénombre 600 000 personnes qui n’ont pas de domicile. Cela recoupe les sans-domicile fixe (dont le nombre ne peut être qu’estimé), les personnes vivant dans des chambres d’hôtel, des abris de fortune, avec un phénomène nouveau qui est le logement en mobil home, ainsi que celles qui vivent dans des structures d’accueil, d’insertion, etc. Plus de 2 millions supplémentaires vivent dans des logements qui ne satisfont pas aux critères minimaux de confort ou qui sont surpeuplés. Il faut y encore y ajouter près de 860 000 personnes vivant dans des conditions précaires, locataires ou sous-locataire de meublés, occupants sans titre, en attente d’expulsion, etc. En tout, ce sont donc 3,5 millions de personnes qui sont très mal logées ou pas logées du tout !
Selon le rapport, 6,6 millions de personnes supplémentaires sont en situation d’extrême fragilité.
Ces chiffres doivent être directement rapprochés des 10 millions de pauvres que compte la France aujourd’hui. Mal-logement et pauvreté sont indissociables.
Le rapport consacre un chapitre au mal-logement touchant les enfants, qui atteindrait aujourd’hui 600 000 d’entre eux.
Le nombre d’enfants-SDF augmente de même que celui de jeunes sans papier vivant de prostitution sur des terrains vagues, d’élèves « hébergés chez » ainsi que ceux qui vivent dans des appartements trop petits, ce qui favorise de gros problèmes d’agressivité ou de dépression.
En outre, 250 000 jeunes vivent en centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).
Les conséquences en sont le développement des inégalités mais également des conditions de santé dégradées du fait du mauvais état de l’habitat (saturnisme, asthme...).
La bonne couverture de presse de ce rapport a été une surprise. Martine Aubry s’est même fendue d’un communiqué de presse, pour s’indigner vertueusement de la situation des mal-logés. Ce qui, venant d’une ancienne ministre de l’Emploi, qui a supprimé les 4/5 des crédits alloués à l’emploi, en mai 2 000, est d’une tartufferie sans nom ! La présentation officielle du rapport a lissé, euphémisé les critiques très vives formulées par la Fondation Abbé Pierre à l’encontre de Sarkozy, en particulier, lorsqu’elle dénonce « le cynisme » (sic) d’un gouvernement qui ne fait rien en matière de mal-logement et qui a interrompu, du jour au lendemain, le programme de 500 000 logements sociaux voulu par le Plan de cohésion sociale. Alors que le nombre d’expulsions (105 271) a bondi de 25 % depuis 2002 !
Au final, la lecture de ces deux documents confirme que dans un pays faisant partie des plus riches du monde, les inégalités et la misère ne cessent de s’accroître.
On imagine déjà avec horreur ce que seront les rapports des prochaines années, lorsque les effets de la dernière crise du capitalisme se seront vraiment fait sentir.
Brigitte Pascal