Entre le titre de la collection « Les cahiers de l’émancipation » et la première livraison « Pistes pour un anticapitalisme vert », qui fait le lien entre marxisme et écologie, peut-on dire que cette nouvelle collection entend mettre le marxisme à l’honneur ?
Antoine Artous. Ni à l’honneur ni au « déshonneur », d’ailleurs. Au demeurant, la thématique de l’émancipation n’est pas réductible au marxisme. Pour ce qui me concerne, je me réclame d’un marxisme critique, mais, de toute façon, il existe « mille marxismes » pour reprendre le titre d’une autre collection de Syllepse que je co-dirige avec Sathis Kouvélakis et Daniel Bensaïd (du moins avant sa disparition...). La référence au marxisme sera sans doute variable selon les sujets et les auteurs, mais elle sera largement présente.
Cela dit, il ne s’agit pas de poursuivre, de façon un peu déguisée, la collection des Cahiers de critique communiste, publiée également par Syllepse, que j’ai animée avec Francis Sitel plusieurs années durant. L’objet explicite de cette collection était d’essayer de faire le point – de façon plurielle et pédagogique – sur certains thèmes clés de la tradition marxiste. Le projet était un peu austère, mais l’écho réel de ces Cahiers a montré qu’il y avait des demandes sur le sujet. L’ensemble – une dizaine – constitue une forme d’« introduction au marxisme » qui me semble toujours utile sur l’analyse économique du capitalisme ou sur des questions comme la démocratie, les classes sociales, le travail, le droit, l’appropriation sociale, les rapports sociaux de sexe....
Quelle a été alors la démarche qui vous a poussés avec Syllepse à lancer cette nouvelle collection ?
Antoine Artous. Il y a trois raisons essentielles. D’abord, l’acquis de la forme éditoriale des Cahiers de Critique communiste : une publication peu chère (7 euros) à mi-chemin entre un « gros » dossiers d’une revue et un « petit » livre. Cela permet de se centrer sur un thème unique, mais avec pas mal de souplesse et de variété. On peut notamment y introduire des entretiens, publier (ou republier) certains documents ; ce que ne permet pas un simple « petit livre ». Et je crois que dans cette nouvelle collection, cette souplesse sera plus forte que dans les anciens Cahiers où l’article, plus ou moins long, était la forme largement dominante des textes.
Il y a ensuite une raison liée à la période actuelle fortement marquée par des mouvements de recomposition dans la gauche radicale et révolutionnaire. La création du NPA, et ce qui s’est passé autour, en est naturellement un point focal, mais cette conjoncture dépasse largement cet aspect ; au demeurant, tout le monde sent bien que le paysage « à gauche de la gauche » est loin d’être stabilisé.
Dans une telle situation – et au-delà des publications « officielles » des divers courants politiques –, il est nécessaire qu’existe une revue marxiste indépendante comme ContreTemps qui, je le fais remarquer au passage, est également éditée par Syllepse. Mais il est aussi utile de disposer d’autres publications plus accessibles (en termes financiers et de lisibilité), permettant d’organiser des échanges, de faire le point et de prendre un peu de recul sur des problématiques d’émancipation en œuvre dans les mobilisations.
Enfin – et c’est la troisième raison – Les Cahiers de l’émancipation se veulent un outil transversal d’échanges et de discussions entre des expériences et des références différentes, mais également entre générations. Le problème n’est pas tant de « transmettre » des connaissances entre générations, mais de réaliser des rencontres de travail. Et en se donnant les moyens que, globalement, la préparation et la conception d’un Cahier soient largement le fait des « nouvelles générations ».
Ainsi le Cahier sur l’écologie a été pensé et coordonné par Vincent Gay, celui sur le féminisme est préparé par une équipe de trois personnes. Cette démarche permet de préparer de façon efficace un numéro et de stabiliser des équipes.
À quel public s’adresse cette collection ?
Antoine Artous. C’est une question à plusieurs facettes. Le texte de présentation fait référence aux débats qui traversent la « gauche radicale ». La formule peut sembler floue, en fait elle est politiquement très précise. Mon histoire politique comme, on le verra, celle de nombreux auteurs, ne laisse pas d’équivoque sur la place occupée par le NPA. Mais– tout au moins à mon avis – sa radicalité politique n’a de sens que si elle se construit en lien avec celle de la gauche radicale. C’est donc cette dernière, dans sa diversité, qui est le public visé. Bien entendu, il ne s’agit pas de cibler l’ensemble du public, voire des militants, de cette gauche radicale, mais plutôt des strates militantes liées à l’animation des luttes et/ou de courants politiques.
Sous cet angle, Les Cahiers de l’émancipation ne sont pas une publication de type « universitaire ». Toutefois une dimension décisive est de pouvoir lier un travail de réflexion critique menée par des universitaires (au sens large) avec les problématiques d’émancipation. Outre la participation directe aux Cahiers, la technique de l’entretien peut ici occuper une place importante.
Syllepse annonce qu’un blog permettra aux lecteurs et lectrices de dialoguer avec les auteurs et de proposer de nouveaux textes. Qu’attendez-vous de cette démarche ?
Antoine Artous. On verra sans doute mieux en marchant. Dans un premier temps, ce qui me semble important serait de pouvoir rassembler des textes qui touchent au thème d’un Cahier, y compris des textes anciens.
Quels seront les prochains titres et quelle sera la fréquence des parutions ?
Antoine Artous. Pour 2010, je crois qu’il est possible de publier trois numéros ; on verra par la suite. Outre le Cahier sur l’écologie, il s’agira d’un numéro sur le féminisme et d’un troisième intitulé : Égalité, différences, discriminations. Je parle ici des numéros en cours de réalisation. D’autres sont en discussion.
Confrontés à une période de creux de vague dans les années 1980, les courants féministes ont dû se recomposer. Ainsi on a pu constater un développement des études universitaires sur le féminisme et le genre qui a connu un certaine reconnaissance institutionnelle, pour autant des questions comme celle de l’avortement et les violences faites aux femmes restent un enjeu. De nouveaux problèmes sont apparus avec les questions du sexisme dans les quartiers populaires ou celles dites du « voile ». Tout cela a relancé des débats – certains ont divisé les féministes – sur lesquels le Cahier veut essayer de faire le point.
Le Cahier Égalité, différences, discriminations traitera de l’opposition entre ce qui serait, d’une part, les principes et traditions de la République et, d’autre part, des formes diverses de « communautarisme ». Dans la conjoncture historique actuelle, cette référence à la « République » est la plupart du temps l’affirmation d’une « identité nationale » malmenée par la mondialisation. Mais on ne peut se contenter de lui opposer un « multiculturalisme » et des identités reposant sur des différences dites « culturelles ». Au-delà des différences, une perspective d’émancipation doit défendre l’égalité comme principe transversal à la diversité des références culturelles.
Propos recueillis par Dominique Angelini