Contre les patrons ou contre les discriminations. Les combats menés par les travailleurs immigrés et leurs enfants est une réalité trop souvent passée sous silence.
L’implication, l’intervention politique des luttes d’immigré-e-s et de leurs enfants en France est une histoire riche et trop méconnue. Comment comprendre l’occultation qui a frappé ces combats ? En effet, la mémoire du mouvement ouvrier traditionnel dispose de ressources et d’outils pour analyser l’histoire et ses enjeux. En revanche, les luttes des immigré-e-s ont semblé trop spécifiques pour faire l’objet d’une approche systématique. À l’heure où les sans-papiers prolongent un large mouvement de grève pour la reconnaissance de leurs droits, il est important de rappeler que cette combativité n’est pas nouvelle.
Une logique traverse les luttes diverses des immigré-e-s et leur descendance : elle est celle d’une capacité politique propre qui défie aussi bien le racisme colonial que les conditions sociales dans les quartiers et les lieux de travail.
Dans les syndicats
Dès les années 1950, une part importante d’ouvriers issus des colonies prend une part active dans le mouvement syndical. L’usine de Renault-Billancourt est un lieu significatif de par sa grande proportion de travailleurs maghrébins : elle est à la fois un foyer pour la lutte sociale et anticoloniale, et pour les dominants, un espace d’encadrement des colonisés. L’Amicale générale des travailleurs algériens est une association issue de membres de la CGT de l’usine de Billancourt. Après le vote des pleins pouvoirs à De Gaulle en 1956, la CGT abandonne son soutien aux « aspirations nationales du peuple algérien » pour se rallier à la position pacifiste du PCF. D’où l’existence de cette Amicale qui a servi la lutte d’indépendance. Noyau de la fédération de France du FLN, l’Amicale a appelé à la manifestation du 17 octobre 1961, massive, mais qui s’est terminée dans un bain de sang perpétré par les forces de l’ordre. Autre fait marquant d’une violence raciste qui s’exerce à l’égard des ouvriers venus d’Afrique, la grève des ouvriers de Talbot de 1983. Son échec s’explique par le retrait de la CGT et la CFDT de cette grève qui a isolé les travailleurs maghrébins, secteur le plus combatif et le plus précaire. Ce pas en arrière a nourri une distinction progressive entre revendications d’immigrés qui réclamaient l’égalité de traitement, le maintien des emplois et celle des ouvriers blancs dans l’entreprise. Ces derniers ont été instrumentalisés par la CSL (syndicat jaune) et le patronat pour briser la grève. Certains se rappellent peut-être de la violence inouïe du lynchage des ouvriers maghrébins, effectué sous les cris de « les Arabes au four ! ».
Pour l’égalité
L’irruption des enfants d’immigrés sur la scène politique est motivée par ces mêmes aspirations à l’égalité et à la résistance notamment contre l’impunité policière. Les émeutes et les affrontements avec les forces de l’ordre se sont succédé sans interruption ces deux dernières décennies, la plupart en réaction à l’implication de policiers dans la mort d’un jeune du quartier, souvent noir ou arabe. Parmi les premières, celle de l’été 1981 d’abord aux Minguettes, à Vénissieux, puis à Villeurbanne et à Vaulx-en-Velin. De là est née l’idée d’organiser une marche qui a beaucoup fait parler d’elle à l’époque. La Marche pour l’égalité et contre le racisme a réuni 100 000 personnes en décembre 1983. L’année suivante, les motivations réelles ont été récupérées par le PS, alors au pouvoir. Appelée vulgairement « Marche des Beurs », on en a diminué la portée, et elle fut très vite oubliée. Plusieurs associations sont nées dans son sillage. On peut citer entre autres le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) qui a participé fortement à la fin de la double peine, ou du moins à en freiner l’application. Dans les années 1990, c’est encore à Vaulx-en-Velin que des émeutes éclatent, et puis plus récemment la révolte nationale d’octobre 2005. Ces révoltes ont certainement été le signe d’une carence sur le plan organisationnel, mais elles n’en demeurent pas moins une forme de résistance dont l’impact est réel sur les rapports de forces. Il existe tout de même un mouvement auto-organisé et propre à cette jeunesse. Par exemple, l’association Bouge qui bouge s’est créée en 1997 lorsque Abdelkader Bouziane, 16 ans, a été tué par la BAC à Dammarie-les-Lys. En mai 2002, un des membres de l’association est tué par la police. Malheureusement, le fait de s’organiser ne protège en rien les jeunes des quartiers.
La lutte contre toute forme de colonisation est un autre élément mobilisateur au sein de cette jeunesse. Elle n’est pas étrangère à l’héritage historique des luttes de leurs aînés. Des manifestations en solidarité avec le peuple palestinien se sont organisées dès les années 1970 autour d’étudiants étrangers. Régulièrement, ces manifestations mobilisent toujours un nombre important d’immigré-e-s, notamment du Maghreb, ainsi que leurs enfants. Ce qui a été manifestement le cas lors des protestations contre l’offensive à Gaza en 2009.
Le NPA, dans son projet de saisir le meilleur de toutes les traditions politiques en son sein, a pour tâche de se pencher sur l’héritage politique, théorique et historique qui continue de traverser ces mouvements. Cela implique un investissement actif en direction des associations de lutte pour la dignité et la reconnaissance des jeunes des quartiers et de leurs parents. À nous de démontrer en quoi la lutte la plus conséquente contre le racisme, c’est l’anticapitalisme.
Hanane et Sellouma