Frédéric Gudéa répond à une tribune publiée par Philippe Pignarre dans Libération, dans laquelle celui-ci exprime sa déception du NPA.Pourquoi Philippe Pignarre pleure-t-il à chaudes larmes de crocodile sur la déception produite par le NPA ? Dans une tribune publiée par Libération, il nous révèle la racine du mal : « Le NPA est anticapitaliste, la LCR était révolutionnaire. Ce ne devrait pas être la même chose. Or, le NPA emploie le plus souvent les mots d’avant comme si la transformation n’avait pas eu d’effets. On lit fréquemment dans ses textes qu’il faut « renverser » le capitalisme ». Beaucoup de nos intellectuels chantent la même chanson dont le sous-titre invisible est Marx est mort. Oubliez Le manifeste communiste et Le Capital, ne soyez plus ringards, lisez plutôt Michel Foucault, Gille Deleuze, Jacques Rancière et Pierre Bourdieu. Alain Badiou vous offre un petit panthéon portatif avec Derrida et Lacan. Michel Onfray propose une BD sur Nietzsche. La confusion est à son comble. Cet éclectisme branché est la transposition dans le monde des idées de la spéculation boursière. Chaque nouvelle valeur susceptible d’offrir un rendement critique supérieur doit être adorée. Avez-vous lu Isabelle Stengers, Giorgo Agamben, Bruno Latour et Judith Butler ? La richesse des sociétés ou règne le capitalisme apparaît aussi comme une gigantesque accumulation d’idées. Toutes sont intéressantes car elles disent quelque chose sur nos sociétés mais pour l’essentiel, elles restent dans le cadre du capitalisme et reproduisent sa domination même si elles en critiquent certains aspects. Toute critique n’est pas anticapitaliste. Alors, comment s’y retrouver dans cette jungle ? La critique du capitalisme est née avec le capitalisme lui-même au xvie siècle. Elle a proliféré dans de nombreuses directions et c’est seulement au xixe siècle, avec l’essor du capital industriel, que naît un nouveau paradigme, une théorie cohérente : le marxisme. Sa naissance évoque celle de la relativité restreinte lorsqu’Einstein a repensé les fondements de la physique en unifiant la mécanique et l’électromagnétisme. Marx et Engels, c’est l’anticapitalisme chimiquement pur. La force du marxisme, c’est sa cohérence intellectuelle et sa portée politique. Une théorie unifiant l’histoire, l’économie, la sociologie, la philosophie et la politique dans le but de rompre avec le capitalisme. À l’heure de la plus grave crise du capitalisme depuis 1929 et la Grande Dépression, Marx est plus que jamais pertinent et le marxisme notre meilleure arme intellectuelle dans le combat anticapitaliste. Le marxisme n’est pas une religion dont Le Capital serait la bible, au contraire, comme le disait Marx dans ses Thèses sur Feuerbach, « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, ce qui importe, c’est de le transformer », et quelle transformation ! Entre la mort de Marx en 1883 et 1914, le marxisme est devenu la référence de la social-démocratie en plein essor. La Première Guerre mondiale a apporté la faillite de la social-démocratie et la victoire des bolcheviks en Russie. La révolution russe, la prise du pouvoir et les politiques mises en œuvre ont été inspirées par Marx. Entre 1917 et la prise du pouvoir par Staline en 1927, Marx et le marxisme ont été au cœur de la création des partis communistes et de leurs succès de masse. Staline a alors créé un nouveau paradigme : le stalinisme. Son vocabulaire est celui de Marx mais sa pensée est rigide et ne sert qu’un objectif : la défense exclusive des intérêts de l’URSS. L’actualité du renversement du capitalisme et de MarxLes horreurs du stalinisme en Russie et ailleurs ont bien été commises au nom de Marx et, 80 ans plus tard, on continue de marteler Marx = goulag. Vous êtes marxiste ? Donc vous êtes pour le goulag ! Au NPA, cette opinion existe parfois aussi dans la version Lénine = goulag. Outre ses victimes par millions, Staline nous a aussi laissé ça en héritage. C’est tellement vrai qu’en occident, les partis communistes, pour en finir avec le stalinisme, ont jeté par dessus bord Marx et Lénine. En France, ils n’ont plus droit de cité au PCF. À tel point qu’un courant du PCF propose de renouer avec le marxisme ! Le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon est lui résolument républicain et non marxiste. Son responsable économique, Jacques Généreux, venu lui aussi du PS, est keynésien et anti-marxiste. La LCR avait quelques défauts mais parmi ses qualités, elle a conservé Marx et développé le marxisme. Après la disparition de Daniel Bensaïd, nous sommes à un moment crucial pour le NPA : allons nous jeter Marx et le marxisme par dessus bord ou les liquider silencieusement ? Inversement, si Marx, Engels et le marxisme sont au cœur de notre analyse et de notre critique du capitalisme contemporain, comment intégrer ceci dans la vie des comités, des commissions, des groupes de travail, dans la presse, dans nos tracts, dans la formation et plus largement dans la construction de notre parti révolutionnaire de masse ? Frédéric Gudéa