Dans le combat pour les retraites, des débats émergent sur le financement des pensions. Faut-il s’apuyer exclusivement sur le salaire socialisé, donc les cotisations sociales, en exigeant des augmentations de salaires et de cotisations patronales pour couvrir les besoins ? Ou doit-on avoir recours à l’impôt pour faire contribuer directement les entreprises sur la base des profits qu’elles réalisent ?
Jean-Claude Laumonier et Jean Malifaud exposent les arguments en faveur de chacune des positions.
Salaire socialisé, les enjeux...
Dans le débat sur les retraites, le grand mérite de l’appel Copernic/Attac est d’avoir remis « à l’endroit » ce que l’idéologie libérale s’acharne à poser « à l’envers » : le financement des retraites est une question de répartition des richesses et non une question de démographie. L’accord des signataires sur ce point essentiel laisse (à juste titre) en suspend plusieurs questions qui doivent être débattues, sans que cela fasse obstacle à l’action commune.
Le mode de financement des retraites (et plus généralement de la Sécurité sociale) est l’un des éléments importants de cette discussion : faut-il maintenir et étendre le principe de la cotisation sociale, du salaire « socialisé » ? Ne faut-il pas y ajouter d’autres modes de financement par l’impôt en « taxant » les profits, en particulier tous les revenus financiers non soumis à cotisations sociales ? Une seconde question est liée à celle-ci. Quelle institution doit être chargée de la gestion de ce salaire socialisé ? Une institution autonome, autogérée par les salariés, ou bien l’État ?
Nous défendrons ici la supériorité du financement par des cotisations sociales, et celle d’une Sécurité sociale autogérée.
Trouver d’autres modes de financement ?
L’argument semble de bon sens. Pourquoi se priver de ressources supplémentaires qui permettraient de faire face à la nécessaire augmentation de la part de la richesse consacrée aux retraites, à l’assurance-maladie… N’est-il pas légitime de taxer les revenus financiers et plus généralement les revenus qui échappent aux cotisations sociales ? Cette proposition soulève pourtant plusieurs questions.
En premier lieu, elle suppose que l’accroissement des cotisations sociales n’est pas en mesure de répondre aux besoins. Envisager d’autres modes de financement, c’est d’une manière ou d’une autre considérer « qu’il y a un problème » avec le financement par des cotisations sociales. C’est précisément la thèse des défenseurs de la contre-réforme qui ne cessent de répéter que les retraites ne seront plus financées dans les années à venir.
Or il n’y a aucun « problème » lié au financement par des cotisations sociales. C’est au contraire le seul système (contrairement à la capitalisation boursière) qui a montré sa vitalité et sa capacité à faire face à des échéances sur le long terme. Le seul « problème », c’est qu’il est nécessaire d’affecter une part croissante de la richesse produite aux cotisations sociales et donc d’inverser la tendance en cours depuis 30 ans, qui a diminué de dix points de PIB la part des salaires et augmenté d’autant celle des profits. Plutôt que d’imaginer de nouveaux modes de financement, n’est-il pas beaucoup plus simple et clair d’exiger l’augmentation de la part des cotisations dites « patronales »?
Le débat avec les défenseurs de la « taxation des profits » ne porte pas sur la nécessité ou non de « prendre sur les profits », mais sur comment le faire. Pour nous, la meilleure manière de prendre sur les profits, c’est de modifier à la source la répartition de la richesse entre salaires et cotisations sociales d’une part, profits de l’autre.
S’orienter vers une « taxation des profits », c’est prendre son parti de la répartition actuelle entre salaire (direct et socialisé) et profit, pour ensuite tenter de la compenser par d’autres moyens. Or la « taxation des profits » présente par rapport à la cotisation sociale un gros inconvénient.
Elle fait dépendre la bonne santé financière de la protection sociale… de la bonne santé des profits. Dans cette logique, pour assurer l’avenir des retraites, la part des profits devrait être la plus élevée possible. Une perspective pour le moins paradoxale !
Comme nous l’avons montré dans un autre article1, la cotisation sociale s’inscrit à l’inverse dans une perspective de solidarité et de cohésion de classe. La lutte pour l’augmentation des salaires, des cotisations sociales et le plein emploi peut être menée dans l’intérêt commun de tous les salariés, qu’ils soient au travail ou « hors emploi ».
Dernier argument pouvant justifier la recherche d’autres financements : l’augmentation des salaires et des cotisations sociales suppose un affrontement social dur avec le patronat.
Ne serait-il pas plus facile dans le cadre d’un gouvernement de gauche de faire adopter une législation taxant le capital ? En un mot, ne serait-il pas possible de contourner l’obstacle plutôt que de l’affronter ?
Mais là encore, il s’agit d’une illusion. Soit la « taxation du capital » reste une mesure symbolique ou « cosmétique », soit elle s’en prend vraiment au capital et, quelle que soit la méthode employée, impôt ou cotisation sociale, l’affrontement est inévitable.
Indépendance de classe et institution du salariat
Défendre la cotisation sociale, c’est aussi défendre l’existence d’une institution du salariat, gérée par les salariés eux-mêmes, indépendante du patronat et de l’État. Si la cotisation sociale représente un part du salaire, c’est aux salariés eux-mêmes de prendre les décisions sur son utilisation.
La sécurité sociale telle qu’elle est aujourd’hui en est certes très loin. Non seulement le patronat cogère la Sécurité sociale, non seulement il n’y a plus d’élections de représentants des salariés, mais c’est le pouvoir politique qui a la mainmise sur la gestion et le Parlement qui chaque année décide, par le vote de la loi de financement de la Sécurité sociale, de l’utilisation d’un budget supérieur d’une fois et demi à celui de l’État.
Il faut donc exclure le patronat de toute gestion du salaire socialisé, qui relève des salariés et d’eux seuls, refuser tout contrôle de l’État sur la « sécu », rétablir des élections démocratiques des représentants des assurés sociaux, mais aussi instaurer une démocratie directe où les assurés sociaux prendront démocratiquement, après débat contradictoire, toutes les grandes décisions sur l’utilisation de leurs salaires.
Cette dynamique de gestion par les travailleurs préfigure et prépare ce que sera l’autogestion dans la société socialiste de demain. Elle est nous semble-t-il bien préférable à la gestion par l’État d’une fiscalité qui échappe au contrôle des salariés.
Jean-Claude Laumonier (Commission nationale sécu-santé-social du NPA)
1. Voir Tout est à nous! la revue n°10
Salaire, impôt, quelques questions…
Le principe de la Sécurité sociale que nous défendons opiniâtrement est la solidarité. Les salariés dotés d’un emploi paient pour ceux et celles dont l’emploi est interrompu, les bien-portants pour les malades, etc. Pour les retraites, les actifs d’aujourd’hui assurent les pensions des actifs d’hier que sont les retraités d’aujourd’hui.
Dans ce système dit de répartition, la solidarité est ainsi intergénérationnelle. Elle est aussi interprofessionnelle par des compensations entre caisses de retraites. Par parenthèse, les fonctionnaires n’ont pas de caisse : leurs pensions apparaissent sur une simple ligne budgétaire dans le budget de l’État et sont donc du ressort de l’impôt. La solidarité s’exerce aussi entre salariés : validation d’annuités pour avoir exercé un métier pénible ou élevé un enfant, pensions de réversion – il n’est pas indispensable d’ouvrir ici le débat, complexe, sur cette question liée à l’institution du mariage, à la famille, à l’héritage…
Cette solidarité est très loin d’être satisfaisante : les chômeurs en fin de droit le savent ! Pour les dépenses de santé, elle est sans cesse rognée : déremboursements, forfaits hospitaliers, instauration de fait d’une médecine à plusieurs vitesses… En ce qui concerne les retraites, elle est encore moins satisfaisante. Par exemple, un retraité n’est (heureusement) pas remboursé pour ses soins médicaux en fonction de sa durée de cotisation, alors que sa pension en dépend et de plus en plus !
Nous portons donc l’exigence d’une extension de cette solidarité dans tous les domaines de la Sécurité sociale.
Pour financer cette Sécurité sociale et son extension, nous en restons à demander l’augmentation de la part socialisée du salaire brut (indûment appelée cotisation patronale). En plus, bien entendu, d’augmenter les salaires nets que perçoivent les salariés ! Tout cela demanderait à être chiffré précisément puisque nous ne pouvons nous contenter du slogan « 1 500 euros pour tous »… Ce sont des sommes colossales !
Nous avons sans doute raison d’en rester là, par principe (le salaire socialisé). Mais nous ne devrions pas en faire un point de clivage. Les organisations syndicales qui posent la question d’élargir l’assiette du financement ont quelques arguments. Par exemple quand elles proposent de mettre davantage à contribution les entreprises qui emploient peu de main-d’œuvre… Pourquoi se priver de pointer les contradictions du capitalisme ?
Dans tous les cas, il faut se garder d’opposer augmentation des salaires et taxation des profits et des revenus financiers. Même si nous séparons les deux, le premier pour la Sécurité sociale, le second pour l’impôt, nous n’en avons pas fini…
Où vient s’immiscer l’impôt ?
Il faut tout d’abord faire appel à l’impôt pour assurer certaines prestations sociales. Il existe dans la société des personnes, des femmes notamment, qui pour une raison ou une autre n’ont jamais été salariées ou n’ont jamais cotisé. Elles ont néanmoins le droit d’être soignées, logées, etc. Les associations caritatives sont fort respectables (enfin, certaines…) mais nous devons défendre que la prise en charge de ces prestations incombent à l’État. Il n’est pas sûr que cela soit marginal…
On devrait ensuite aborder la question du quatrième âge. Les maisons de retraite, celles qui sont décentes et même quelques autres, ont un coût largement supérieur au Smic revendiqué. L’impôt doit donc intervenir pour combler la faiblesse des pensions. Et si nous demandons la création d’un service public afférent, c’est bien du ressort de l’impôt !
Et de l’autre côté de la vie, pour les jeunes ? À l’automne dernier, dans les mesures d’urgence pour les jeunes, on parlait d’un « présalaire d’autonomie à hauteur du Smic » et lors de la campagne des régionales, d’une « allocation d’autonomie à hauteur du Smic pour tous les jeunes de 16 à 25 ans ». Une chose est acquise : tous les jeunes sont concernés et pas seulement les étudiants… Les bornes d’âge peuvent être justifiées : le point de départ non par l’âge de la majorité mais par la fin de l’école obligatoire que l’on revendique à 18 ans. La question est : présalaire ou allocation d’autonomie ?
Parler de présalaire signifie que le financement est assuré par le salaire des actifs. Au-delà du succès que rencontrerait l’ajout d’une ligne supplémentaire sur la fiche de paie des salariés, portant « contribution aux frais d’étude des étudiants », la mesure demanderait pour le moins des explications ! Ensuite, tous les jeunes ne se destinent pas à devenir salariés. Les étudiants notamment, pour un certain nombre d’entre eux, exerceront une profession libérale. Financer leurs études par le salaire socialisé constituerait un transfert en sens inverse de l’autre partage des richesses que nous voulons. Non, il faut s’en tenir à une allocation dont la charge revient à la collectivité (de tous et non des seuls salariés) et donc à l’impôt. Elle pourrait d’ailleurs être largement assurée par la suppression de la demi-part d’impôt supplémentaire dont bénéficient les ménages qui n’aurait plus lieu de subsister dès lors que les jeunes seraient financièrement autonomes !
Par ailleurs, à côté de l’allocation, il nous faut privilégier la gratuité d’un certain nombre de « prestations » : santé (ce qui est loin d’être le cas actuellement !), logement (Cité U gratuites pour les étudiants mais aussi pour les jeunes en recherche d’emploi), pourquoi pas restauration collective, loisirs, culture (un forfait pour concerts, théâtres, cinémas), etc.
Reste une question…
Smic et « minimum vital »
Ces deux notions sont essentiellement différentes : la seconde renvoie à ce qui est nécessaire pour vivre (logement, nourriture, transports, santé, loisirs) ; le salaire minimum est le seuil en deçà duquel on ne tolère pas qu’un patron exploite un salarié…
Il ne s’agit pas d’une question quantitative mais de considérer que ces deux notions différentes ont à voir avec ce qu’on appelle la lutte des classes. La proposition minimum vital = Smic se renverse en Smic = minimum vital… L’un des buts des luttes sociales depuis deux siècles est justement d’arracher que le salaire minimum soit un peu plus que le simple nécessaire à la reproduction de la force de travail !
Traduction quantitative : si le minimum pour (sur)vivre est fixé à 1 500 euros net par mois, le Smic revendiqué doit être au-dessus…
Jean Malifaud