Le documentaire signé Mariane Otero met en scène des ouvrières qui font l’expérience de la lutte collective. On assiste alors à leur prise de confiance et de conscience, à leur transformation en sujet de leur propre histoire.Voulant observer la confrontation entre utopie et réel, la réalisatrice Mariana Otero a décidé de poser sa caméra dans Starissima. Cette petite entreprise de lingerie féminine, située près d’Orléans, va peut-être redémarrer après un redressement financier grâce à la création d’une Scop (à l’origine, société coopérative ouvrière de production, rebaptisées aujourd’hui société coopérative et participative). Le projet de la Scop est lancé par un groupe de six employés, plutôt des cadres intermédiaires ou des commerciaux, puis chemine peu à peu dans la tête des autres salariées, femmes et ouvrières dans leur immense majorité. Au fil des jours, les salariéEs dévoilent leurs doutes, leurs appréhensions, leurs incompréhensions, mais aussi leurs espoirs. Espoirs humbles, ne pas voir fermer son usine, retrouver un peu de dignité, ne pas toujours être celle dont le sort est réglé par les autres… et au final pouvoir devenir sujet d’une histoire collective. On ne trouvera pas dans cette expérience d’envolées lyriques, de profondes réflexions militantes sur l’autogestion. On peut même s’interroger sur le fait que c’est bien d’une lutte sociale qu’il s’agit ici. Mais la question est en fait un peu vaine, tant Mariana Otero offre aux spectateurs un documentaire rare, à de nombreux points de vue. D’une part, elle montre le travail, chose aussi banale dans la vie que relativement rare au cinéma, malgré quelques exceptions ces dernières années. On peut constater ensuite que les événements montrés, bien que limités dans le temps, circonscrits aux murs de l’entreprise et ne concernant qu’une cinquantaine de personnes, vont changer peu à peu l’état d’esprit des salariées qui vont être amenées à s’interroger sur leur sort en tant qu’ouvrières. Prise de confiance, prise de conscience, naissance d’un collectif… tout ça arrive dans un contexte où tout semble rendre impossibles de tels phénomènes : crise économique, salariat d’exécution dont une partie est vieillissante, une autre partie immigrée et non francophone, absence de tradition militante, pas de présence syndicale… Et pourtant quelque chose se passe, très modestement certes, mais les individus pris dans l’évènement se transforment, et les rapports entre eux également. D’individus isolés, ils accèdent donc au statut de sujet, de leur histoire d’abord, et dans le même temps sujets d’un film qui offre une caisse de résonance à cette transformation. Car les salariéEs de Starissima deviennent également des personnages de cinéma, notamment à travers leurs dialogues, leurs corps, leurs postures, ce que souligne magnifiquement la dernière séance où règnent lyrisme et onirisme, dignes des plus belles comédies musicales, et bons antidotes à l’abattement et au découragement. Un peu de liberté conquise, dans un monde du travail qui en laisse si peu, de l’inventivité face à un système qui nous veut tous mornes et résignés, c’est tout ça qu’on trouve dans Entre nos mains.Vincent Gay