C’est un peu le paradoxe des dernières décennies : dirigeants et idéologues du mouvement ouvrier et populaire s’échinent à expliquer que le monde est devenu tellement complexe, que la dénonciation du patronat est tellement simpliste et la « lutte des classes » une conception tellement archaïque... Par contre, du côté des adversaires, décidément décomplexés, on n’a pas de ces pudeurs ! Il y a quelques années, Denis Kessler, alors numéro 2 du Medef, s’était lâché : « je crois plus que jamais à la lutte des classes et je sais dans quel camp je suis ». Deuxième ou troisième fortune mondiale, Warren Buffet dit la même chose, en termes encore plus crus : « Tout va très bien pour les riches. Nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes et c’est ma classe qui est en train de la gagner ».
Pour essayer de faire mentir ce dernier pronostic, connaître l’ennemi n’est pas inutile. La bourgeoisie capitaliste connaît-elle des évolutions dans sa composition comme dans son rôle ? Comment le patronat s’est-il organisé aux différentes époques du capitalisme ? Que signifie l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy du point de vue des rapports entre État et grand capital ? Derrière le vaudeville de l’affaire Bettencourt, que révèle l’histoire du groupe L’Oréal ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles ce dossier essaie de répondre.
En tout cas, un même constat transparaît dans tous les articles qui le composent. Bien sûr, la principale force de la grande bourgeoisie vient des automatismes du système économique lui-même– maximisation du profit et accumulation du capital – qui exercent leurs contraintes au-delà même de la volonté des capitalistes considérés comme individus. Pour autant, la bourgeoisie ne s’en remet nullement aux seuls mécanismes du marché. C’est une classe consciente de ses intérêts. Une classe consciente d’être une classe. Une classe mobilisée en permanence. Une classe organisée pour la lutte. C’est une leçon que devrait faire sienne le monde du travail, comme nous y invitent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur dernier ouvrage, dont Tout est à Nous !, la Revue publie les bonnes feuilles.