Malgré le froid, la neige ou le début des vacances scolaires, force est de constater que la journée de débats organisée par l’intersyndicale CGT CFDT CFTC CGC Archives, le samedi 18 décembre 2010, aux Archives nationales de Paris (dans le quartier du Marais) a été un véritable succès, attirant plus de deux cents personnes.
En jeu: débattre et s’organiser pour combattre le projet Sarkozy de créer et d’implanter sur le site historique des Archives nationales «son musée» de l’histoire de France, considéré à juste titre par tous les participants comme le symbole culturel de l’idée réactionnaire de «l’identité nationale».
Sous la présidence du secrétaire général du syndicat des Archives de France CGT (SAF-CGT), Wladimir Susanj, ont notamment pris la parole : Jack Ralite, sénateur PCF; Martine Billard, députée PG, Nicole Borvo Cohen-Seat, sénatrice, présidente du groupe PCF au Sénat; Danielle Fournier, conseillère de Paris, co-présidente du groupe Europe Ecologie/les Verts au conseil de Paris; Pierre Tartakowsky, représentant la Ligue des Droits de l’Homme; Nicolas Offenstadt, historien; Michèle Riot-Sarcey, historienne; Robert Descimon, historien; Nicole Lemaître, historienne; Isabelle Bakouche, historienne; Frédéric Régent, historien (membre du LKP); Sylvie Thénault, historienne; Laure Blévis, historienne; Vincent Denis, historien; Gilles Morin, historien; Anne Simonin, historienne.
La maison de l’histoire de «la France éternelle»
L’écrasante majorité des historiens, des universitaires, des personnels des Archives nationales, du conservateur général au magasinier, s’élève contre ce projet nocif qui prend ses racines dès avril 2007, en pleine campagne présidentielle.
Le postulat de départ de Sarkozy et des tenants du projet est que le pays souffre d’une crise identitaire à laquelle il faut répondre par des remèdes identitaires. Les Français ont perdu leurs «repères chronologiques», le «socle de culture historique bâti sous la IIIème République s’est désagrégé». Il s’agit également de corriger «les excès des lois mémorielles» et de revenir aux mythes fondateurs de l’Etat-Nation: «la France éternelle» et «l’âme de la France» étant les problématiques centrales. Bref, les grands hommes, les grandes dates, les grandes batailles…
Sarkozy veut son histoire officielle qui exhale une odeur nauséabonde si l’on en juge notamment par les discours du Latran et de Riyad (sur la laïcité et la supériorité du curé sur l’instituteur), le discours de Dakar et «l’entrée tardive des Africains dans l’histoire» ou par sa politique contre l’immigration, les Roms, et de manière générale les «classes dangereuses» comme la bourgeoisie appelait les ouvriers au XIXème siècle.
Donc, pour imposer sa version de l’histoire il a besoin d’étouffer les archives dont les documents constituent autant de témoignages de la forfaiture nationaliste, de l’identité nationale.
Les Archives nationales: une institution née de la Révolution française
Créées par la loi révolutionnaire du 7 messidor An II (25 juin 1794), les Archives nationales représentent par la masse et la diversité des documents conservés la mémoire de tout un pays depuis le 7ème siècle jusqu’à nos jours (des papyrus mérovingiens au versement des archives du dernier quinquennat de Chirac). Elles renferment dans leurs cartons les dossiers les plus divers de l’histoire de France: la Révolution française et ses institutions, la Commune de Paris, l’affaire Dreyfus, tous les aspects de la IIIème République, les morts de 14-18, les guerres coloniales, celles d’Indochine et d’Algérie…
Elles permettent aussi la reconnaissance des droits des citoyens: reconnaissance de l’Etat civil, de la citoyenneté, confirmation de la propriété d’un bien, validation d’une transaction, un marché, un bail…
En tant que telles, les Archives sont neutres. Elles sont une matière première irremplaçable à disposition de tout citoyen, tout généalogiste, tout historien. Pas de documents, pas d’histoire. Et si l’histoire est l’affaire des historiens, les archives sont l’affaire des archivistes, tout personnel confondu.
L’histoire vue par Sarkozy ne peut donc s’accommoder des cartons d’archives qui eux, servent de matériau à l’histoire, sans la déformer, sans l’interpréter.
Voilà pourquoi il a choisi le site des Archives nationales pour implanter sa Maison de l’histoire de France. En volant surface (15 000 m2 sur 34 000 m2), kilomètres linéaires de rayonnage (perte de 30 kilomètres linéaires de capacité de stockage), et en lorgnant sur le personnel des Archives, il veut reléguer cette institution dans un réduit, dans un ghetto dont il espère qu’elles n’en sortiront plus.
Au nom de la RGPP
Sous couvert d'un vague projet scientifique, sans penseurs mais avec des idéologues, d'un objectif prétendument au service de l'histoire sans historiens, c'est en réalité le démantèlement du réseau des Archives nationales et des Musées nationaux - ainsi que de leur statut de Services à compétence nationale (SCN) - qui est visé, avec à la clé l'abandon de missions entières de service public.
Personne n’est dupe: derrière les oripeaux idéologiques de ce projet se cache la Révision générale des politiques publiques (RGPP) dont on voit les effets dévastateurs au Ministère de la Culture et au-delà: suppressions de postes, précarité galopante, privatisations, attaques statutaires, dégradation des conditions de travail....
Sans doute jaloux de la pyramide du Louvre de Mitterrand, du musée du Quai Branly de Chirac, Sarkozy veut lui aussi laisser sa trace culturelle: le «musée Sarkozy» de l’identité nationale.
Arrêtons le bras des casseurs!
C’était sans compter sur l’unité, la détermination et la pugnacité des personnels des Archives nationales et de leur intersyndicale qui occupent depuis 95 nuits les locaux de l’hôtel de Soubise, qui ont fait grève du 24 au 29 septembre, et qui ont déjà recueilli plus de 6 000 signatures de soutien sur une pétition en défense des Archives nationales. C’était, sans compter sur la mobilisation des historiens, intellectuels, élus, syndicalistes, étudiants, généalogistes ou simples salariés et citoyens.
Pour toutes ces raisons, nous sommes inconditionnellement solidaires des personnels des Archives nationales, de son intersyndicale, de tous ceux qui luttent maintenant depuis trois mois, qui occupent depuis 95 nuits l’hôtel de Soubise pour affirmer: NON A LA MAISON DE L’HISTOIRE DE FRANCE AUX ARCHIVES NATIONALES! SAUVONS LES ARCHIVES NATIONALES !
Et nous ajoutons pour notre part: ce projet inutile, néfaste, réactionnaire ne doit pas voir le jour.
Isabelle Foucher (NPA Paris-centre 1,2,3,4)