Le centre Pompidou présente jusqu’au 21 mars la plus grande rétrospective Mondrian jamais organisée en France, doublée d’une autre exposition d’égal intérêt consacrée à De Stijl, la revue et le groupe d’artistes qui firent connaître le peintre et son « néo-plasticisme ». Né aux Pays-Bas en 1872 et mort à New York en 1944, Piet Mondrian a longuement séjourné à Paris. De 1912 à 1914, alors qu’il n’avait pas encore de style bien défini, il s’y mesura à ce qu’on commençait à nommer la peinture cubiste. La Grande Guerre le retint aux Pays-Bas, nation neutre, où il élabora sa doctrine du « néo-plasticisme ». Mais c’est seulement après son retour en France en 1919 qu’il mit au point sa dernière manière, aujourd’hui connue d’un large public, de lignes orthogonales délimitant des rectangles ou des carrés de couleurs primaires. Il n’y ajouta que d’infimes variations quand l’approche de la Deuxième Guerre mondiale le fit se réfugier en Grande-Bretagne puis aux États-Unis. Réunissant une quarantaine de toiles pour la plupart venues de l’étranger, l’exposition du centre Pompidou (jusqu’au 21 mars) et son catalogue remarquablement documenté se concentrent sur ce deuxième séjour parisien, évidemment capital dans l’évolution de son œuvre. Même dans les années 1930, le peintre sexagénaire, méconnu du public français, vécut dans une gêne extrême, jusqu’à s’inscrire à une caisse de secours des artistes au chômage. Il jouissait d’un renom plus large à l’étranger grâce au groupe d’artistes et d’architectes, principalement néerlandais, réunis à partir de 1916 autour de Théo Van Doesburg, fondateur de la revue De Stijl qui publia les grands écrits théoriques de Mondrian, très influencés par l’anthroposophie et la croyance en une « Sagesse universelle première ». Telles n’étaient pas les positions de la plupart des collaborateurs de De Stijl, dont les plus actifs et les plus proches des idées révolutionnaires, à commencer par Van Doesburg, rejoignirent le mouvement Dada, et pour certains ensuite le mouvement surréaliste. Il revint pourtant à Van Doesburg et à ses amis de faire connaître les idées de Mondrian au-delà des Pays-Bas, notamment à l’école du Bauhaus, avant de diffuser des reproductions des premières toiles définissant sa manière définitive. Si Mondrian présentait son « néo-plasticisme » comme une critique radicale de toute la peinture antérieure, cubisme inclus, ses amis se mirent à leur tour à critiquer de plus en plus fermement sa critique, soit dans leurs écrits soit dans leurs œuvres plastiques. Van Doesburg alla jusqu’à peindre des « contre-compositions » à rebours de celles de Mondrian, utilisant par exemple la diagonale formellement interdite par le dogme néo-plastique. Ce sont ces années de tension et d’opposition croissantes, marquées par des créations pleines d’invention et de provocation, qu’explore la deuxième exposition du centre Pompidou, accompagnée elle aussi d’un catalogue d’autant plus utile que l’existence de De Stijl, son importance et son influence restent peu connues du public français. On se plaît à imaginer les prolongements de tous ordres, picturaux, architecturaux, etc., que ce mouvement contestataire aurait pu donner à ses critiques sans sa dispersion progressive sous l’effet des crises secouant l’Europe de l’entre-deux-guerres, et la mort prématurée en 1932 de Van Doesburg, alors engagé dans une collaboration de plus en plus étroite avec Sophie Taeuber et Hans Arp, ces deux autres génies révolutionnaires de l’art moderne. Gilles Bounoure