Publié le Lundi 21 février 2011 à 22h18.

Essai : Haïti, Kenbe la ! de Rodney Saint-Éloi

Proche ami de Dany Laferrière dont il est aussi le dernier éditeur, R. Saint-Éloi se trouvait avec lui le 12 janvier 2010 dans un hôtel de Port-au-Prince quand le goudou-goudou, innommable ou indicible autrement, secoua Haïti de ses 7°3 de magnitude. Ils crurent d’abord à « des mitrailleuses qui vomissent des balles », à « une insurrection de palais », et se dirent : « Rien de bien grave. Les militaires nous ont tellement habitués… » Ce passé de violence institutionnelle, la confiscation des richesses et de la vie publique par une vingtaine de grandes familles, l’attitude incroyablement désinvolte et méprisante des gens au pouvoir avec un président répétant à tout bout de champ « Ce n’est pas ma faute », ou encore « naje pou sòti, débrouille-toi seul pour sortir de la merde », voilà qui justifie le titre du livre (« Haïti, redresse-toi ! ») en forme de slogan ou d’appel. Mais comme l’indique mieux son sous-titre « 35 secondes et mon pays à reconstruire », il offre avant tout un témoignage sur les premiers jours de l’après-séisme, vécus « en mode goudou-goudou ». Dans ce récit de poète, grand admirateur de Frankétienne et surtout d’Aimé Césaire dont de nombreuses formules reviennent sous sa plume, avec des accents souvent proches de ceux de Laferrière, on ne cherchera ni programme politique ni prémonitions de l’affreuse situation actuelle, entre élections trafiquées au fusil d’assaut, choléra généreusement offert par l’ONU et prévision de nouvelle disette. Si ce livre est à lire un an après le goudou-goudou, c’est pour le regard qu’il porte sur les quelques jours où, comme dans tout moment de crise aiguë, se sont empilés, matérialisés, cristallisés tous les maux qui pesaient déjà sur Haïti. Maux d’origine toute humaine comme y insiste R. Saint-Éloi, mais dont le retentissement en termes de religiosité, qu’il décrit aussi, n’est pas pour rassurer sur la manière dont Haïti pourrait se « redresser » dans les années qui viennent.Gilles Bounoure

Éditions Michel Lafon, 270 pages, 16 euros