Quelques dates emblématiques ont ponctué les 72 jours de la brève existence de la Commune de Paris.
4 septembre 1870 : proclamation de la République
La capitulation de Sedan entraîne la chute du Second Empire et la proclamation de la République. Un gouvernement dit « de Défense » est mis en place à partir des députés (républicains modérés) de Paris. Il s’agit pour la bourgeoisie française de couper l’herbe sous le pied du mouvement populaire qui commence à émerger en faveur de la République, de l’égalité sociale et de la résistance à l’occupant. À l’inverse, le nouveau gouvernement, qui craint plus que tout la dynamique du mouvement populaire, cherche à négocier avec les Prussiens. Progressivement, l’écart se creuse avec les aspirations radicales du peuple de Paris. Plusieurs soulèvements à caractère quasi insurrectionnel sont réprimés, notamment le 31 octobre 1870 et le 22 janvier 1871. Paris est assiégé.
Dans un premier temps, les maires de Paris et de ses arrondissements sont nommés par le gouvernement. Cela contribue fortement à promouvoir la bataille pour la démocratie et pour les libertés communales. De nombreux clubs politiques se créent, ainsi que des embryons de représentation du mouvement populaire, comme le Comité des vingt arrondissements ou le Comité central de la Garde nationale. Fin janvier, le gouvernement signe la capitulation.
8 février 1971 : élections
L’une des conditions imposées par les Prussiens lors de la capitulation de Paris est l’organisation d’élections afin de désigner une nouvelle Assemblée nationale : il s’agit de constituer un pouvoir doté d’une certaine légitimité institutionnelle, afin de valider la capitulation. Le scrutin se déroule le 8février et débouche sur une Assemblée particulièrement réactionnaire, représentative de la France rurale et conservatrice et aux antipodes de l’effervescence révolutionnaire que connaît la capitale depuis plusieurs mois. Au total, sur 750 députés, 450sont monarchistes ! Sans compter les bonapartistes… Seule exception : Paris, avec l’élection de députés républicains plus ou moins radicaux et de quatre révolutionnaires (dont Garibaldi).
De quoi susciter la méfiance de l’Assemblée qui décide de siéger non à Paris mais à Bordeaux, puis à Versailles. Adolphe Thiers devient chef du gouvernement.
18 mars : soulèvement parisien et début de la Commune
Afin d’affirmer son pouvoir, Thiers décide d’enlever au contrôle des Parisiens les canons de la Garde nationale. Il envoie des troupes régulières pour les récupérer. Les soldats sont rapidement entourés par la foule qui s’oppose au départ des canons. Malgré les ordres des officiers qui leur commandent de tirer sur la foule, les soldats refusent d’obéir et fraternisent avec les manifestants et la Garde nationale. Les quartiers populaires de l’est et du centre de Paris se couvrent de barricades. Puis les cortèges convergent vers l’hôtel de ville. Thiers quitte Paris pour Versailles. À l’hôtel de ville, le comité central de la Garde nationale exerce de fait le pouvoir.
Dès le lendemain, il annonce l’organisation d’élections pour le Conseil de la Commune. D’éphémères Communes – elles n’auront que quelques jours d’existence – sont proclamées à Marseille, Lyon, Narbonne, Le Creusot, Saint-Étienne, Toulouse… À Paris, la Garde nationale réprime les manifestations des « Amis de l’ordre ». Les quartiers chics de l’ouest de Paris se vident d’une partie de leur population. Menées par les maires et députés parisiens, les tentatives de conciliation avec le gouvernement central échouent. Un second siège de Paris commence.
28 mars : installation du Conseil de la Commune de Paris
Le 26 mars, des élections sont organisées à Paris, sous l’égide du comité central de la Garde nationale qui proclame : « Cherchez des hommes aux convictions sincères, des hommes du Peuple, résolus, actifs, ayant un sens droit et une honnêteté reconnue. Portez vos préférences sur ceux qui ne brigueront pas vos suffrages ; le véritable mérite est modeste, et c’est aux électeurs à connaître leurs hommes, et non à ceux-ci de se présenter ». Une idée s’impose, extrêmement puissante : les élus doivent être mandatés et révocables à tout moment.
Alors que le gouvernement et l’Assemblée nationale ne reconnaissent pas ce scrutin, après quelques jours d’une campagne animée, les Parisiens choisissent leurs 92élus. Ceux-ci représentent les différentes sensibilités présentes dans le mouvement populaire : partisans de Blanqui, membres de l’Association internationale des travailleurs, candidats soutenus par le comité central de la Garde nationale ou le Comité des vingt arrondissements, républicains « rouges », etc. Ils vont constituer le Conseil de la Commune.
Outre quelques décisions symboliques – comme l’adoption du drapeau rouge ou … le retour au calendriercréé par la Révolution française ! – les premières mesures prises par la Commune concernent les problèmes d’urgence sociale : moratoire des loyers, arrêt des poursuites pour impayés, blocage des ventes des objets déposés au Mont-de-piété, versement d’une pension aux blessés ainsi qu’aux orphelins et veuves des gardes nationaux tués, etc.
3 avril : séparation de l’Église et de l’État
La Commune décrète la séparation de l’Église (catholique) et de l’État, la suppression du budget des cultes et la sécularisation des biens des congrégations religieuses. Notamment parce qu’elle considérait que le budget des cultes était « contraire à la liberté de conscience » et parce que « le clergé a été en fait complice des crimes de la monarchie contre la liberté ».
Parallèlement, la Commune ébauche les contours d’un système d’éducation laïque et égalitaire. Les signes religieux sont enlevés des salles de classe. La Commune affirme le droit à l’accès égal des filles et des garçons à l’éducation. Une commission composée de femmes est formée pour réfléchir sur l’enseignement des filles. Parallèlement, une égalité de traitement entre les hommes et les femmes est mise en place pour les enseignants et directeurs. Quelques municipalités d’arrondissement rendent l’école gratuite.
Une offensive des communards en direction de Versailles échoue et se solde par de nombreux prisonniers, emmenés à Versailles, ainsi que par des exécutions sommaires. La Commune suspend quelques journaux pro-Versaillais et vote un décret sur les otages.
16 avril : décret sur les ateliers abandonnés
Ce décret constitue assurément l’une des mesures prises par la Commune dont le caractère « socialiste » est le plus manifeste. Il prévoit la création d’une commission d’enquête, sous l’égide des chambres syndicales ouvrières, pour recenser les ateliers qui ont été abandonnés par leurs propriétaires afin de confier leur gestion aux travailleurs, à travers la constitution de coopératives ouvrières. Le décret prévoit également la création d’un « jury arbitral » chargé de fixer l’indemnisation des patrons à leur retour.
En fait, il faudra attendre la mi-mai pour que le décret connaisse un début d’application avec la constitution d’une « commission d’enquête et d’organisation du travail », regroupant des représentants de chaque branche d’activité.
19 avril : déclaration au Peuple français
Votée à l’unanimité (moins une voix), cette déclaration constitue véritablement le programme de la Commune en matière d’organisation du pouvoir. Toute l’architecture proposée repose sur « l’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de France » et le renforcement des pouvoirs communaux en matière de fiscalité, de budget, de recrutement des fonctionnaires et des magistrats ainsi que du maintien de l’ordre. Elle proclame « la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation… ».
Le lendemain, la Commune interdit le travail de nuit pour les boulangers. Dans la foulée – fin avril et début mai – elle prend d’autres mesures à caractère social : organisation des boucheries municipales, réquisition des logements vacants pour y loger les victimes des bombardements, suppression du système des amendes patronales dans les entreprises, abolition du serment politique et professionnel auquel étaient astreints les fonctionnaires, facilités pour récupérer les objets déposés au Mont-de-piété, égalité des enfants « légitimes » et « naturels ».
1er mai : le Comité de salut public
La création du Comité de salut public est l’aboutissement de nombreux débats qui se sont déroulés au cours du mois d’avril et qui ont opposé partisans et adversaires d’une centralisation plus ou moins poussée du pouvoir. L’objectif est d’instaurer un peu d’efficacité dans le fonctionnement de la Commune qui, depuis le 28 mars, repose sur dix commissions collectives– exécutive, militaire, subsistance, finances, justice, sûreté générale, travail, industrie et échanges, services publics et enseignement – sans forcément de cohérence d’ensemble. Mais, de fait, les attributions à la fois importantes et mal précisées du Comité de salut public vont interférer avec les prérogatives des commissions... Au sein du Conseil de la Commune se constitue une « minorité » qui accuse la majorité d’avoir « abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature à laquelle elle a donné le nom de salut public » et, à partir du 15 mai, refuse de siéger.
28 mai : défaite de la Commune
La « Semaine sanglante » a débuté le 21mai, avec l’entrée dans Paris des troupes versaillaises. Elles progressent à partir de l’ouest parisien, prenant d’abord le contrôle des Champs-Élysées, des quartiers Saint-Lazare et Montparnasse. Les communards sont refoulés vers les bastions populaires de l’est parisien où ils opposent une résistance acharnée.
Petit à petit, les barricades érigées pour défendre ces quartiers sont prises… et leurs défenseurs exécutés sommairement. En représailles, les communards exécutent six otages, dont un archevêque. Les Tuileries, l’hôtel de ville et la préfecture de police sont incendiés. Le 27 mai, des combats très durs se déroulent à Belleville, au cimetière du Père-Lachaise, aux Buttes-Chaumont. Le 28mai marque la fin des combats lorsque la dernière barricade, rue Ramponneau, tombe aux mains des Versaillais.
La fin des combats, mais pas la fin de la répression… L’évaluation faite par les historiens des victimes des exactions des Versaillais avoisine les 30 000 morts. Plus de 40 000 communards – ou présumés tels – sont emprisonnés. Pour les juger, 24 conseils de guerre fonctionneront pendant plusieurs années, jusqu’en 1878. Ces tribunaux d’exception prononceront 10 000condamnations : peines de mort, peines de prison, travaux forcés, déportations en Nouvelle-Calédonie…
Si la Commune de Paris occupe une telle place dans l’histoire du mouvement ouvrier, c’est parce qu’elle a constitué la première expérience de gouvernement des travailleurs.
Sa défaite et la brutalité de la répression ont initié de nombreux débats stratégiques qui, aujourd’hui encore, restent ouverts.
Même si le temps a manquépour les mettre réellement en œuvre, nombre des mesures démocratiques ou sociales décidées par la Commune anticipaient une société débarrassée de l’exploitation. Beaucoup d’entre elles restent d’ailleurs d’actualité…
Telles sont trois des raisons – parmi beaucoup d’autres possibles… – qui ont présidé à la conception de ce numéro spécial.
FrançoisCoustal