Les femmes se sont investies dans la Commune de Paris à tous les niveaux. Issues de la bourgeoisie parfois, mais souvent simple femmes du peuple, elles participent de la prise des canons de Montmartre jusqu’à la Semaine sanglante à tous les épisodes de ces 72 jours.
On peut mesurer le rôle des femmes sous la Commune au déchaînement des anti-communards à leur encontre. Après la Semaine sanglante, elle apparaissent sous les traits des pétroleuses, un bidon de pétrole dans une main, une torche dans l’autre, portant sur le visage toute la laideur de leur esprit et prêtes à incendier la ville tout entière. Peu importe que les incendies aient autant été le fait des hommes que des femmes. Il n’est plus question que de que « louves sanguinaires », de « viragos », de « femelles assoiffées de sang »...
Maxime Du Camp résume de manière caricaturale les différentes facettes de l’activité des femmes sous la Commune : « Le sexe faible fit parler de lui […] Le récit de leur sottise devrait tenter le talent d’un moraliste ou d’un aliéniste. Elles avaient lancé bien autres chose que leur bonnet par-dessus les moulins ; tout le costume y passa. Celles qui se donnèrent à la Commune – et elles furent nombreuses – n’eurent qu’une seule ambition : s’élever au-dessus de l’homme en exagérant ses vices. Elles furent mauvaises. Utilisées par la police des Rigault et des Ferré, elles se montrèrent impitoyables dans la recherche des réfractaires qui se cachaient pour ne point servir la Commune. Comme “ambulancières”, elles abreuvèrent les blessés d’eau-de-vie, sous prétexte de les ‘’remonter’’, et poussèrent dans la mort bien des malheureux qu’une simple médication aurait guéris. Dans les écoles où elles s’installèrent, elles apprirent aux petits enfants à tout maudire, excepté la Commune. Du haut de la chaire des églises converties en clubs, elles se dévoilèrent : de leur voix glapissante, au milieu de la fumée des pipes, dans le bourdonnement des hoquets, elles demandèrent leur place au soleil, leurs droits de cité, l’égalité qu’on leur refuse, et d’autres revendications indécises qui cachent peut-être le rêve secret qu’elles mettent volontiers en pratique : la pluralité des hommes. »
« Elles se déguisèrent en soldats […] ; elles s’armèrent, firent le coup de feu et furent implacables. Elles se grisèrent au sang versé et une ivresse furieuse qui fut horrible à voir. Elles manifestaient ; elles se réunissaient en bandes et comme les tricoteuses leurs aïeules, elles voulaient aller à Versailles “chambarder la parlotte” et pendre Foutriquet 1er [Thiers] »
« Au dernier jour, ces viragos tinrent derrière les barricades plus longtemps que les hommes […] Parmi les prisonnières, on en envoya un quart dans les asiles d’aliénés : c’est bien peu !
Pour qui a étudié l’histoire de la possession, il n’y a guère à se tromper ; presque toutes les malheureuses qui combattirent pour la Commune étaient ce que l’aliénisme appelle des “malades’’. »1
La place des femmes est dans la famille
La charge est rude et sans nuances. Néanmoins, pour ce qui concerne les femmes, elle est tout à fait dans l’esprit du xixe siècle.
Si on excepte Fourrier qui écrit en 1808 : « En thèse général : les progrès sociaux et changements de période s’opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d’ordre social s’opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes », puis les saint-simoniens un peu plus tard, le rôle des femmes reste confiné à la famille, soumise à son mari tel que c’est gravé dans le marbre du code civil, en 1804.
Du côté du mouvement ouvrier naissant, le constat n’est pas meilleur. En France, il est en effet dominé par les idées de Proudhon, particulièrement misogyne :
« une femme ne peut plus faire d’enfants quand son esprit, son imagination et son cœur se préoccupent des choses de la politique, de la société, de la littérature »,ou encore : « la femme qui court mal est aussi mauvais piéton. Ce qui lui convient c’est la danse, la valse où elle est entraînée par son valseur, ou bien encore le pas lent des processions ».
En 1866, la Première Internationale tient congrès à Genève. Les délégués français expliquent que « le travail des femmes doit être énergiquement condamné », la place des femmes est dans la famille. Les délégués comme Eugène Varlin qui ne partagent pas cette opinion sont très minoritaires.
Les communards ne sont pas épargnés par l’ai du temps. Ainsi, le journal officiel de la Commune du 10 avril publie un article censé soutenir l’engagement des femmes : « Dans tous les mouvements populaires les femmes ont joué un grand rôle. D’un tempérament inflammable, facile à égarer, écoutant la voix du coeur plutôt que celle de la raison, elles entraînent, fanatisent la foule et poussent à l’extrême les passions aveugles. »
Ce qui est à peu près à l’opposé des motifs des femmes qui se sont engagées à tous les niveaux dans cette lutte sans merci.
Les femmes s’engagent pour la Commune
En 1870, le siège de Paris par l’armée prussienne rend les conditions de vie particulièrement difficiles. Les hommes sont au front ou font partie de la Garde nationale. Les femmes se retrouvent seules pour gérer la pénurie. Une fois le siège levé, la situation ne s’améliore pas. Thiers veut supprimer la solde des gardes nationaux et réclamer les loyers dont le paiement avait été suspendu.
Dès le 18 mars, lorsque l’armée se rend sur la butte Montmartre pour en enlever les canons, les femmes jouent un rôle primordial : « Les femmes et les enfants sont venus et se sont mêlés aux troupes. Nous avons été rudement trompés en permettant à ces gens de s’approcher de nos soldats, car ils se mélangèrent à eux, et les femmes et les enfants leur scandaient “Vous ne tirerez pas sur le peuple!’’ »
Tout au long de ces 72 jours, les femmes sont aussi bien sur les barricades qu’impliquées dans les soins aux blessés, aux enfants mais aussi dans le débat, à travers les clubs, pour réorganiser la société et proposer des réformes.
Lorsque la Commune est proclamée, le 28 mars, elles s’organisent rapidement dans les 160 comités de quartiers. Celui de Montmartre rassemble Louise Michel, André Léo et Paule Minck.
Très vite le conseil municipal prend des mesures comme le maintien de la solde de la Garde nationale et du moratoire sur les loyers et surtout, il reconnaît un droit à une pension pour les veuves et les enfants de garde nationaux, qu’elles aient été mariées ou non, qu’ils soient légitimes ou non. C’est une réelle avancée dans ce Paris où bien souvent la population vit en union libre.
Le 11 avril, le journal officiel publie un appel aux citoyennes .
Appel Aux citoyennes de Paris Journal officiel de la Commune 11avril 1871
« Paris est bloqué, Paris est bombardé…
Citoyennes, ou sont-ils nos enfants, et nos frères, et nos maris ?
Entendez-vous le canon qui gronde et le tocsin qui sonne l’appel sacré ?
Aux armes, la patrie est en danger !
Citoyennes de Paris, descendantes des femmes de la grande Révolution, qui au nom du peuple et de la justice, marchaient sur Versailles, ramenant captif Louis xvi, nous, mères, femmes, sœurs de ce peuple français, supporterons nous plus longtemps que la misère et l’ignorance fassent des ennemis de nos enfants, que père contre fils, ils viennent s’entretuer sous nos yeux pour le caprice de nos oppresseurs qui veulent l’anéantissement de Paris après l’avoir livré aux étrangers ?
Citoyennes, le gant est jeté, il faut vivre ou mourir […] »
Le soir même est créée l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, dont les principales animatrices sont Nathalie Lemel et Élisabeth Dmitrieff. Elle se décline en comités de quartiers, représentés dans les mairies de Paris.
Le but de l’Union des femmes est bien sûr le soin et le ravitaillement, mais au-delà, elles entendent bien participer à la vie économique et proposent de créer des ateliers coopératifs pour donner du travail aux femmes. Elles recensent les ateliers dont les patrons ont fui à Versailles (les francs-fileurs) et créent des ateliers autogérés.
Elles militent également pour une éducation laïque pour les filles, demandent la création d’orphelinats laïques et le remplacement des religieuses dans les hôpitaux.
Les communardes sur les barricades
Le 22 mai, Thiers entre dans Paris, donnant le départ de la Semaine sanglante. L’Union des femmes défend la barricade des Batignolles. 120 femmes tiennent celle de Pigalle puis de la place Blanche. Louise Michel est sur la barricade de Clignancourt où elle est laissée pour morte par les Versaillais.
Le 25 mai, elle remplacent les gardes nationaux sur la barricade de la rue du Château-d’Eau. À l’issue du combat, il reste une cinquantaine de survivantes qui sont toutes fusillées sur place.
Selon Louise Michel, 10 000 femmes auraient combattu lors de la Semaine sanglante.
Après la défaite, 1 051 femmes sont faites prisonnières, dont 70 % sont des ouvrières. Elles sont emmenées à la prison des Chantiers à Versailles. Selon un rapport, 29 femmes sont condamnées aux travaux forcés, 20 à la déportation en enceinte fortifiées et 16 à la déportation simple. Certaines sont embarquées vers la Nouvelle-Calédonie. Elles sont enfermées dans des cages, pour un voyage qui dure quatre mois.
Un bilan amer
Certaines communardes comme Louise Michel ou André Léo continuent le combat une fois revenue de déportation.
Si le rôle des femmes pendant la Commune est largement reconnu, elles n’obtiennent par pour autant les droits politiques. Ainsi, en 1879, André Léo qui publie le journal La Sociale en dresse un bilan désabusé : « Il faudrait cependant raisonner un peu : croit-on pouvoir faire la révolution sans les femmes ? La première révolution leur décerna bien le titre de citoyenne ; mais non pas les droits. Elle les laissa exclues de la liberté, de l’égalité […] quand trouvera-t-on que cela a assez duré ? […] Pourquoi cela ? […] C’est que beaucoup de républicains – je ne parle pas des vrais - n’ont détrôné l’empereur et le bon Dieu que pour se mettre à leur place. Et naturellement, dans cette intention, il leur faut des sujets, ou tout au moins des sujettes. »2
Dominique Angelini
1. Cité dans La Commune de Paris par ceux qui l’on vécue, Laure Godineau, Parigramme.
2. Cité dans Histoire du féminisme, Michèle Riot-Sarcey, La découverte.