Interview de Marc Nammour, MC du groupe
Au lendemain de leur concert parisien à la Boule Noire, nous avons rencontré Marc Nammour, MC du groupe La Canaille pour la sortie de leur deuxième album, Par temps de rage (voir chronique ci-dessus).
Alors, La Canaille, c’est du rock ou du rap?
Moi, je fais du rap, la canaille fait du rap. Mais le rock fait partie de nos influences. J’ai commencé par écouter du rap mais, depuis dix ans, j’écoute tous les styles. Je me suis rendu compte que le côté brut, un peu rouillé, de la guitare, collait bien au texte. Mais les beats derrière nos textes sont bien hip-hopet ma façon à moi de scander les mots, c’est du hip-hop! Le rap, il peut prendre toutes les formes possibles: à l’origine, c’est du sampling. Alors il y en a qui font du rap sur de la musique classique, nous on se dirige sur des samples plutôt rock.
Mais quelle est ta définition du rap?
Le peu-ra pour moi, c’est une façon de scander les mots, une façon d’écrire. Mais le rap qui me touche c’est le rap revendicatif, celui qui a quelque chose à dire: le haut-parleur de la rue! C’est aussi une façon de groover, de composer la musique de manière très minimaliste. Après ça peut être sur un fond funk, de musique classique, électro ou plutôt reggae. L’essentiel c’est que ça reste une énergie. C’est l’énergie du MC. C’est ça qui me touche avec cette musique, tu peux rapper sur n’importe quoi.
Qu’est-ce que ça t’apporte de rapper sur de la musique jouée en live par des musiciens?
Sur le deuxième album surtout, on est uniquement en live. On a plus de DJ donc plus de séquence et c’est une liberté et un pied total! Ça veut dire qu’on n’est plus prisonniers de la séquence, de soir en soir, ça ne sera jamais la même interprétation. Il y a une mise en danger permanente, on aime bien se surprendre, il y a un côté plus interactif parce que ça se joue sur l’instinct et sur l’instant. C’est quelque chose que je découvre depuis six mois et c’est juste chan-mé. Tu te dis qu’à un moment donné tu peux faire des ad-lib, tu peux rebondir vraiment en direct. C’est une grande liberté artistique.
Au niveau du public, tu as l’impression d’avoir été chercher de nouvelles personnes?
Je n’ai pas l’impression qu’on ait changé de public par rapport au premier album. Les fans du premier se sont retrouvés dans le deuxième et on en a gagné d’autres. Je pense que les gens se reconnaissent dans le propos, dans l’identité de La Canaille. Ça tient plutôt à notre pâte au niveau du texte, à la direction artistique de nos morceaux plutôt qu’à une recette qui fonctionnerait invariablement en mélangeant simplement de la musique orientale, une basse et des textes. On a toujours fusionné, mélangé les genres. C’est un autre son mais le troisième album sonnera encore différemment. On a horreur de se répéter, ça me saoulerai de me dire que ça y est maintenant on va être prisonniers d’un nouveau set, d’un morceau qui est bien passé. A chaque fois on s’éclate, on va voir ailleurs. C’est quelque chose d’important parce que sinon au niveau du texte, je vais aborder les thèmes de la même manière. J’aime nous mettre en danger.
De quoi parle ce nouvel album ?
Par temps de rage, ça raconte ce que je vis ou ce que j’ai vécu. Ça parle du quotidien des prolos, de comment on se sent dans un monde où tout s’enchaîne et où les classes populaires en prennent plein la gueule. Il y a urgence à dire les choses, à s’organiser, à coller à l’actualité parce qu’on réagit ici et maintenant.
Le nom du groupe,La Canaille, a une histoire…
Oui, c’est le nom d’un chant révolutionnaire chanté en 1871 pendant la Commune de Paris. Je suis tombé dessus sans connaître le passé de cette chanson. J’ai simplement lu le texte et il m’a vraiment touché. Quand j’ai compris que ce texte avait été écrit il y a presque 140 ans, je me suis dit: il est contemporain ce texte! J’ai donc voulu le reprendre et lui redonner une actualité au niveau musical. On a donc fait un morceau, La Canaille, sur le premier album et on s’est complètement reconnu dans cette description. La Canaille, c’est une énumération de quatre lignes qui finit par «C’est la canaille et bien j’en suis». Qui est la canaille? Ce sont des prolos de bases, c’est le peuple, c’est les gens comme toi et moi, les chômeurs, les artistes, les précaires, les travailleurs. C’est ça la canaille! A la base c’est une insulte bourgeoise, on a donc voulu redonner ses lettres de noblesses à ce mot. Ça vient de canis, le chien, c’est vraiment une sale insulte, méprisante, une insulte bourgeoise à notre encontre. C’était une insulte suprême de classe, que les bourgeois employaient pour les pauvres. Et comme notre démarche est de représenter nos origines sociales, d’avoir une position de classe, on s’est dit: «ah ouais, tu nous traites de canaille, et bah on va être fier, parce qu’on est fier de nos origines, c’est pas de la merde!». Hamé, le rappeur de La Rumeur disait une très belle phrase: «A force d’être pris pour une merde, on a fini par le croire.» On vient réaffirmer qu’il n’y a pas de honte d’être né là où on est né, dans les quartiers populaires. Notre origine sociale, c’est quelque chose d’important pour nous. Et donc réaffirmez ça en prenant une insulte et lui donnant ses lettres de noblesse, je trouvais que ça résonnait pour nous.
A l’époque tu disais que ça résonnait aussi avec cette autre insulte «racaille».
Oui, maintenant ils appellent ça racaille. Mais nous, on voulait justement utiliser canaille parce que c’était aussi une manière de faire un pont entre les luttes passées, présentes et à venir. C’est toujours la même chose au final. Mais là, je n’avais pas envie de surfer sur une expression du «p’tit connard». Je n’avais pas envie d’utiliser son langage.
Vous détonnez un peu dans le paysage du rap français: votre ancrage se fait clairement dans une thématique de classes sociales, avec cette présence de la classe ouvrière très affirmée. D’où vient cet intérêt-là?
Il n’y a pas de calcul, c’est ce qui nous constitue. Moi, je suis fils d’ouvriers, je viens d’une région ouvrière, dans le Jura, où il y a des usines à perte de vue. Ça me touche d’autant plus que maintenant, avec la crise et les délocalisations, ils en prennent plein la gueule. Toutes les usines ferment, c’est la sère-mi totale. C'est-à-dire que les gens ils n’ont plus que les minimas sociaux, les paradis artificiels et en plus c’est le meilleur terreau pour un repli identitaire. Ça me touche d’autant plus que j’ai encore plein de potes qui y sont, ma famille. Donc c’est quelque chose qui me constitue.
Quand en arrivant sur Paris, il y a 8 ans, j’entends dans le business de la musique que «c’est fini les ouvriers, c’est Charlie Chaplin ou en Chine», je me dis «mais qu’est-ce que tu racontes!». De part l’origine sociale du rap, je trouve ça logique qu’on mette en avant notre filiation ouvrière. C’est comme ça, c’est notre musique, on a grandi dans les quartiers, c’est notre culture quoi.
Tu es fils d’ouvriers mais aussi immigré. Pourtant c’est une thématique que tu ne creuses pas vraiment.
Je suis né au Liban, je suis arrivé en France à 8 ans. Mais j’avais plutôt envie de me définir par mon origine sociale que par mon origine géographique ou culturelle. J’ai tendance à croire que c’est plus sain d’affirmer une origine sociale qu’une origine de naissance, parce que ça ne me parle pas trop. J’ai plus de points communs avec un prolo de France qu’avec un bourge libanais. J’avais fait une chanson qui s’appelait Pluie d’été pendant les évènements de 2005 au Liban. C’est sûr que j’ai envie d’en parler, mais j’avais envie de dire d’autres choses avant. Peut-être que sur le troisième je vais en parler, mais c’est quelque chose aussi de très personnel donc il faut que je le traite bien.
Et lors du concert tu n’hésites pas à affirmer ton soutien aux révolutions arabes.
Oui, mais le Liban, il est loin de la révolution si tu veux! C’est clair que je trouve ça hyper sain ce qui se passe en ce moment. Mais j’ai toujours peur de l’après. Pour l’instant en tout cas, je me dis que le peuple a toutes les raisons de la ramener, d’ouvrir sa gueule et de chasser des despotes qui s’engraissent sur leur dos depuis trente ans. J’ai envie que ça nous gangrène ici! Je trouve ça hyper positif mais je suis pas naïf. J’espère que le peuple va pas encore une fois se faire bananer comme ça c’est déjà fait dans l’histoire à maintes reprises: un soulèvement populaire qui se fait rattraper après par une putain d’élite qui a repris la main sur le pouvoir et qui l’a baisé en fin de compte. Mais je suis ça de très près.
Quand tu dis pendant le concert que tu aimerais que les révolutions nous gangrènent ici, tu penses qu’on pourrait jouer un rôle en particulier?
Moi, je me sens concerné dans la cité, dans la ville, dans le pays, sur la Terre où j’habite. Si il s’agit de prendre position, c’est d’être en faveur de tous ceux qui essaient de faire bouger les choses. Après en France, qu’est-ce qu’on peut attendre? On voit que la France est un putain de pays réactionnaire de merde avec des taux du FN, on le voit aux cantonales, qui sont faramineux. C’est quoi le choix? Participer à une élection foireuse où j’ai le choix entre la peste et le choléra?
Alors moi, ma façon de réagir, c’est plutôt d’essayer d’en parler au quotidien, dans mon microcosme privé, sur scène, dans les albums. C’est comme ça que je prends position. Je m’implique un peu, je vais manifester à chaque manif en tant que citoyen de base, j’essaie de m’organiser comme je peux, rebondir quand il y a besoin de coup de main. C’est comme ça qu’on peut construire j’ai l’impression. Si chacun on discute politique dans nos cercles privés, de plus en plus, c’est aussi une façon d’avancer.
Par ailleurs, tu as aussi pris position contre l’intervention française en Libye durant le concert. Cette phrase n’a pas fait l’unanimité dans le public…
De toutes façons, on n’a pas la langue dans notre poche. On affirme notre vision des choses. Là, c’est clair, je suis contre toute intervention militaire de la France en Libye. Nous faire croire que leurs missiles sont des frappes chirurgicales qui vont taper dans le bol de l’intégriste et qui ne vont pas éclabousser à côté, faut pas nous prendre pour des abrutis. A partir de là, je ne peux pas cautionner ça. On va nous dire que Sarkozy est le grand frère des opprimés qui prend position pour le peuple libyen alors qu’il y a un an il accueillait Kadhafi avec tapis rouge à l’Elysée! Donc moi c’est clair que je ne vais pas cautionner quelque chose comme ça.
J’exprime ma pensée et après les gens le prennent comme ils le veulent. Si ça leur plait tant mieux et sinon ça ne changera rien parce que nous c’est comme ça qu’on voit les choses. Et puis la pression médiatique ou la bonne pensée commune du moment, on n’en a rien à foutre. On est un groupe de rap qui est arrivé avec un titre qui s’appelait Ni dieu, ni maître en plein retour à l’obscurantisme. On est arrivé avec un discours très peu entendu, surtout dans le rap où on a plutôt tendance à voir le truc inverse de plutôt affirmer son appartenance religieuse. C’est aussi quelque chose à défendre mais il y a des scènes où ce n’est pas évident de tenir ces propos-là. Ça ne nous empêche pas de le faire.
Il y a cette phrase, attribuée à Frantz Fanon, qui est très présente dans les œuvres des rappeurs français «le savoir est une arme». Tu la reprends également à ton compte. Que signifie-t-elle pour toi?
Elle revient dans beaucoup de bouches de rappeurs parce que la grosse majorité des rappeurs viennent de quartiers populaires, dans lesquels la culture n’est pas vraiment mise en avant. On ne bénéficie pas d’une scolarité «normale». Donc ils se sont vite rendus compte que, d’autant plus dans les quartiers populaires, le savoir est une arme. C’est quelque chose qui résonne parce que sans culture, sans vision du monde, sans prise de recul, tu te fais bananer en suivant le mode de pensée communément admis. A suivre le troupeau tu vois que tes parents, tes grands-parents, tes voisins se font niquer à longueur de journées. C’est une phrase qui résonne d’autant plus dans le rap parce que c’est une musique qui est née dans les quartiers populaires. Il y a besoin de savoir sinon tu te fais baiser et ça il n’y a pas besoin d’avoir fait l’ENA pour s’en rendre compte. C’est une réalité de tous les jours.
Propos recueillis par Rodolphe Juge et Mary Sonet
A écouter:
Une goutte de miel dans un litre de plomb, La Canaille, 2009.
Par temps de rage, La Canaille, 2011.