Obstinés, les enseignants-chercheurs, ils le sont, résolument ! Rejoints par les chercheurs, les personnels des universités et des laboratoires, les étudiants, ils mènent depuis huit semaines un mouvement de grève inédite, inventive… obstinée. Les raisons de leur colère contre la déraison du gouvernement.
A l’automne 2007, ils n’étaient pas si nombreux à vouloir s’opposer, au côté des étudiants, à la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) qui, sous couvert d’autonomie, installait les universités et leurs personnels dans une concurrence effrénée. Le terme autonomie est en effet trompeur : les enseignants-chercheurs revendiquent naturellement une autonomie de pensée et de décision dans leurs activités d’enseignement et de recherche. Ils allaient bientôt s’apercevoir que ce n’était pas cette autonomie-là que Valérie Pécresse entendait leur imposer…
Cinq contre-réformes, décidées hâtivement et sans concertation, ont provoqué l’ébullition dans les universités : un projet dit de « mastérisation » des formations des enseignants des 1er et 2nd degrés fourmillant d’incohérences qui supprimait l’année de stage permettant de se préparer au métier d’enseignant (de l’apprendre) et fabriquait de la précarité à tout va ; un décret chamboulant le statut d’enseignant-chercheur ; la suppression d’un millier de postes dans l’enseignement supérieur et la recherche et de sérieuses restrictions budgétaires ; le démantèlement du CNRS (le centre national de la recherche scientifique) et des grands organismes de recherche dans le but de restreindre la recherche fondamentale au profit d’une recherche finalisée et dépendante étroitement de la demande des entreprises en matière d’innovation ; un nouveau « contrat doctoral » qui place les doctorants sous la férule des présidents d’université…
Bologne, Lisbonne… rogne !
La loi LRU vient de loin. On doit à Claude Allègre, alors « sinistre » de Lionel Jospin, le coup d’envoi, le 25 mai 1998 à la Sorbonne, de ce qui allait devenir le processus de Bologne (où s’est tenue une conférence européenne en juin 1999) : la globalisation capitaliste s’attaquait à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR)…
La stratégie (ou agenda) de Lisbonne allait suivre, en mars 2000, dont l’objectif est de faire de l’Union européenne, à l’horizon 2010, « l’économie de la connaissance » la plus compétitive du monde… Et puis, en 2007, Zorrokozy est arrivé, Pécresse s’installe aux manettes et c’est la LRU !
Le « pacte pour (?) la recherche » avait précédé, créant une agence, l’ANR (agence nationale de la recherche), dont la fonction allait être de squeezer le CNRS et les grands organismes de recherche, les dépossédant de leur rôle d’opérateur, et ainsi de retirer les crédits récurrents dont disposaient encore les laboratoires et les équipes de recherche, pour les soumettre totalement aux contrats passés avec le privé. C’était en quelque sorte faire l’économie de la recherche fondamentale et donc l’économie de la connaissance !
Comme ils ne font pas dans le détail, il fallait par ailleurs, pour désengager l’Etat (libéralisme oblige), s’attaquer au statut de la Fonction publique, ou le réserver à une poignée de privilégiés (issus de quelle classe sociale ?) qui pourraient mettre leur cours « en ligne » qu’une armée de précaires (dépendant des collectivités territoriales, ce serait le must) serait chargée de balancer à leurs élèves… D’où ce projet de « mastérisation » de la formation des enseignants inepte et inapplicable – qui n’a rien à voir avec le fait de reconnaitre par un diplôme (master) une formation universitaire qui s’étale sur cinq années !
Ebullition, imagination !
Le discours de Sarkozy du 22 janvier affirmant, contre toute vérité, que les universitaires n’étaient pas évalués, fut la goutte de fiel qui mit le feu aux poudres… « Évidemment, si l’on ne veut pas voir cela, je vous remercie d’être venu, il y a de la lumière, c’est chauffé… »
Chauffés, certainement, les personnels des universités l’ont été ! Ils ont tenu une première coordination le 22 janvier, posé un ultimatum et, face à l’autisme ministériel, se sont engagés dans une grève illimitée, unitaire, soutenue par les associations et par les syndicats de la FSU – le SNESup, principal syndicat enseignant avait appelé dès le 26 janvier, le SNCS, le SNASUB – la CGT, SUD… Un conflit qui tient bon, qui peut fléchir ici ou là mais se relance aussitôt, qui s’enracine, qui invente ses modes d’action, débride l’imagination et répond par l’insolence aux provocations, au mépris affiché par le gouvernement.
Difficile de rendre compte du foisonnement des initiatives qui ont contribué à construire le mouvement dans la durée. Puisque la grève devait être « active », les cours se sont transportés sur la place publique, dans les gares, les rames de RER. Des lectures publiques, pour commencer, de La Princesse de Clèves, brocardée par Sarkozy avec sa grossièreté coutumière. On ne compte plus les cours « ouverts » sur des sujets de société : les contes pour enfants sont décryptés, les phénomènes physiques expliqués… Concerts, pique-niques, conférences, débats ont fleuri à côté des AG et des coordinations. Il y a dans ce mouvement un côté « fête » indéniable ! Ainsi est venu le printemps des chaises : ces chaises calfeutrées dans les salles de cours ne demandaient qu’à prendre l’air ! Empilées dans les amphis, elles incitent leurs propriétaires à se joindre à la grève. Et puis, la ronde infinie des obstinés, à l’initiative de l’université Paris 8, confirme l’irréductible volonté opiniâtre de ce mouvement : jour et nuit, enseignants, chercheurs, personnels, étudiants se relaient dans une ronde, sans autre fin que le recul du gouvernement, en place de Grève (aujourd’hui devant l’hôtel de ville de Paris), lieu symbolique où les ouvriers venaient chercher du travail, où aussi officiait le bourreau…
Défendre le service public !
On a voulu présenter ce mouvement comme le réflexe corporatiste de fonctionnaires défendant leur statut, sous-entendu leurs privilèges… Les causes de cet embrasement sont plus profondes ! Elles tiennent aux conditions de l’activité particulière qu’est la production et la transmission de connaissances. La politisation que porte ce mouvement met en lumière deux conceptions radicalement opposées de cette activité : celle du service public, d’une recherche librement menée, qui se développe dans la quête opiniâtre d’une meilleure appréhension du monde, qui se soucie des besoins sociaux, environnementaux, celle d’une Université démocratique, ouverte à tous ; et puis l’autre, celle qui se plie aux logiques des marchés (si tant est que ces deux mots ne soient point contradictoires), qui entend soumettre les thèmes de recherche à l’impératif d’une rentabilité immédiate, celle qui met en concurrence les universités et les personnes qui ne veulent pas se lasser d’y travailler… Le mouvement a résolument choisi le premier terme de l’alternative, dès sa première coordination, en ponctuant la résolution adoptée par cette affirmation : « le savoir n’est pas une marchandise, l’université n’est pas une entreprise ! »
Le temps des manœuvres…
Le gouvernement entendait mener ses réformes tambour battant. Mais voilà, les tambours ont changé de mains et se sont retrouvés dans celles des manifestants. Alors, il essaie le pipeau… Le jour du « non enterrement » de la recherche au Panthéon (26 février), Pécresse embarquait quatre petits syndicats – le SNESup fut retenu au dernier moment ! – pour une réécriture du décret dans ce qui s’est révélé être une galère… Il leur faut ramer maintenant ! Darcos récidive sur la formation des maîtres dans un salmigondis qui laisse entière son impossible réforme.
La coordination nationale des universités a fixé clairement ses préalables à toute négociation. Le bras de fer reste donc fermement engagé…
En avril, on sait bien qu’il faut éviter de se découvrir d’un fil… et donc résister à la pression sur les examens – sacrés examens ! Et pour déjouer le piège, ainsi que le SNESup a tenu à l’affirmer en final dans son congrès, le 3 avril, « le gouvernement porte l’entière responsabilité de la menace de non-validation du semestre » s’il persiste dans son autisme !
… et de l’extension de la riposte !
L’extension du mouvement reste une perspective et d’abord celle « de la maternelle à l’université » puisque les diverses attaques contre le service public d’éducation obéissent à une même logique politique. Les imposantes manifestations du 19 mars n’ont guère permis la jonction, les syndicats enseignants ayant si peu mobilisé. Rebelote le 2 avril… Prochaine mobilisation générale le 28 avril – tiens, c’est jour de fête pour Valérie ! – dans l’attente impatiente du mois de mai.
Au-delà de l’éducation, le 19 mars a mis à l’ordre du jour un Tous ensemble contre la politique de Sarkozy qui laisse les travailleurs payer une crise qui n’est pas la leur. Le 1er mai révèlera sans nul doute l’étendue de la colère. Et puisque les confédérations restent l’arme au pied, n’attendons pas pour tisser les convergences interprofessionnelles !
Pour passer les vacances de printemps, la ronde infinie des obstinés s’en va faire un tour de France, de place en place, de grève en grève…