Entretien. Militante de Solidarité migrants Wilson, Clarisse Bouthier revient pour nous sur les difficultés à faire vivre la solidarité avec les migrants Porte de la Chapelle, dans le 18e arrondissement parisien, autour du centre d’accueil, lancé à grands renforts de communication par la mairie de Paris et le gouvernement...
Un centre d’accueil humanitaire des immigrants primo-arrivants (comme c’est écrit sur le panneau à l’entrée du centre) a été créé porte de la Chapelle. Pourquoi une mobilisation des habitantEs ?
Notre collectif s’est créé dans le quartier de la Plaine à 500 mètres du centre, avenue Wilson. Ce centre était largement sous-dimensionné dès le début, donc un camp s’est installé avec les personnes qui ne pouvaient y entrer. Nous nous sommes retrouvés du jour au lendemain avec des centaines de gens, dont beaucoup de mineurs, qui n’avaient rien. Les températures étaient négatives, ils n’avaient pas à manger. Donc on s’est dit soit on détourne les yeux et on les laisse crever, soit on s’organise pour faire quelque chose. On a décidé de faire et de centrer notre action sur les petits-déjeuners, car il faut bien commencer par quelque chose...
Comment fonctionne cette solidarité au quotidien ? Combien de personnes implique-t-elle ?
Comme la politique est qu’il ne faut surtout pas de camp, car les camps ça se voit, celui de l’avenue Wilson a été évacué le 20 décembre, nous avons donc arrêté les petits-déjeuners. Puis par divers témoignages, on s’est rendu compte que les conditions dans le centre étaient intenables, qu’ils n’y avaient pas forcément à manger, qu’ils faisaient la queue toute la nuit, parfois plusieurs jours et nuits de suite, dans le froid, sans rien. On a donc décidé de reprendre nos petits-déjeuners le 27 décembre. On a fait avec les moyens du bord, en transportant nos marmites de lait et thé chaud en trottinette, en vélo, en caddies, en récoltant les invendus de boulangeries, en payant de notre poche. Et on a réussi à tenir ce pari fou, d’être là 7 jours sur 7 en se relayant. Plus de 200 personnes ont participé depuis le début d’une manière ou d’une autre, et 150 se sont à ce jour relayées sur les petits-déjeuners. Tous les matins, on sert entre 200 et 400 personnes...
Après l’installation des grilles sur l’avenue Wilson, la pose des rochers sur le terre-plein de la Porte de la Chapelle a mis au grand jour la politique mise en œuvre vis-à-vis des migrants. Peux-tu nous en dire plus ?
Il y a quelques jours encore, la mairie de Paris affirmait aux journalistes que « les problèmes de fluidité étaient réglés », c’est-à-dire que les dispositifs prenaient tout le monde en charge et qu’il n’y avait donc personne à la rue. Or le constat terrible que font unanimement les diverses personnes qui sont sur le terrain, c’est que toute la politique mise en œuvre vise à disperser les migrants dès qu’ils sont un peu trop nombreux, à les rendre invisibles. Comme le pointent de nombreux associatifs depuis un moment, les migrants sont surtout mis à l’abri... des regards des riverains.
Il y a aussi ces centaines de mineurs dans les rues de Paris, non pris en charge, déclarés majeurs par estimation visuelle (!) ou par des « tests osseux » pas fiables. Nous en croisons tous les jours.
Dispersion des campements, mais aussi de la queue devant le centre dès qu’elle devient trop importante, donc trop visible ; dispersion quasi quotidienne des réfugiés qui dorment dans la rue, et qui n’ont désormais plus de tentes et dont on jette régulièrement les couvertures, même en pleine vague de froid ! Installation de rochers et de grilles antimigrants dans tant de quartiers de Paris.
À Saint-Denis, les grilles posées après le démantèlement du camp ont été démontées à plusieurs reprises, dont la nuit de la Saint-Sylvestre, par des anonymes, et elles ont été recouvertes d’une jolie banderole avec les paroles de la Chanson pour l’Auvergnat. Et la municipalité a fini par les enlever.
Ces dispersions ont des répercussions dramatiques pour les adultes et les enfants qui sont à la rue, puisque du coup ils sont complètement isolés. Beaucoup vont se réfugier dans des souterrains, dans des trous ! J’en ai rencontré un certain nombre, je pense aussi à une femme enceinte dont on m’avait parlé et que des soutiens ont finalement pu sortir du tunnel où elle s’était cachée... Cela devient très, très compliqué de nourrir, vêtir, informer ou soigner les gens quand ils sont si invisibles.
N’y a-t-il pas aussi une tentative de rendre illégale la solidarité ?
Cette invisibilisation et cette politique du gaz et de la matraque finit par ricochet par atteindre les soutiens. Nous avons subi une pression quasi quotidienne de personnes liées aux autorités qui nous expliquaient qu’il fallait qu’on se pousse, que là où on se mettait, ça gênait vraiment beaucoup... et quand on se déplaçait, là où on se mettait, ça gênait vraiment beaucoup aussi... Puis on s’est mis à recevoir des amendes de 135 euros par-ci par-là...
La semaine dernière, tout s’est accéléré. Lundi 13, la tension était vive, car le centre était plus que jamais engorgé. Les migrants étaient complètement à bout, ils avaient faim et froid et la plupart n’avaient pas pu dormir, l’ambiance était électrique. Des employés du centre ont interdit de manière très agressive à des femmes de notre collectif de servir du thé aux personnes qui avaient fait la queue dans le froid toute la nuit... Puis des CRS surarmés sont venus nous demander de plier bagage sur « demande du directeur du centre et ordre de la préfecture » nous ont-ils dit. Nous étions avec nos enfants, nous sommes partis... Le jeudi suivant, l’équipe qui s’est présentée s’est vue directement interdire de distribuer aux abords du centre sur ordre de la préfecture. Ils sont donc partis loin, suivis par des réfugiés très énervés. Alors qu’ils éloignaient leurs véhicules pour obéir aux ordres, les mêmes policiers sont venus relever les plaques d’immatriculation afin de mettre des amendes.
Nous avons dénoncé ces agissements, et la mairie de Paris a totalement retourné son discours : au fur et à mesure que la polémique sur les rochers et les interdictions de distribution enflait, tous les médias de France et même de l’étranger se sont intéressés à l’histoire et sont allés sur le terrain. Et tous ont pu constater qu’il y avait des centaines de gens. Donc Mme Hidalgo a dû admettre qu’il y avait un problème, renvoyant la balle dans le camp de l’État.
Samedi dernier, nous avons appelé les gens à se joindre à notre petit-déjeuner pour affirmer notre droit à pouvoir exercer notre solidarité. Il y a eu un beau rassemblement. Sur le fond nous sommes bien d’accord, ça ne devrait pas être à nous de faire tout ça. Mais puisque ce n’est pas fait, nous ne pouvons pas renoncer à être simplement humain, et les pressions que nous subissons pour cela sont scandaleuses !
Une épreuve de force est engagée. Comment vois-tu l’avenir ?
Je crois que le pire du pire – mais c’est difficile à dire tant nous nageons dans l’absurde et parfois l’horreur –, c’est que les personnes qui finissent par être intégrées dans les dispositifs, ne sont pas au bout de leurs peines, loin de là... Très peu au final bénéficieront du droit d’asile, alors que sur le terrain, nous voyons à 90 % des personnes qui fuient des zones en guerre... On ne reconnaît pas pour véridiques leurs récits qui doivent rentrer dans des cases très précises, et ceux qui tombent sous le coup des accords de Dublin, c’est-à-dire concrètement presque tous, vont être renvoyés vers d’autres pays de l’Union européenne, où l’on sait pertinemment que leur droit à l’asile ne sera pas respecté. Il y a eu plusieurs cas récents de personnes renvoyées dans leur pays qui se sont faites exécuter à leur sortie de l’avion...
En attendant, l’urgence est de pouvoir continuer nos distributions sans que nos actions soient entravées ni que nous soyons inquiétés ou menacés. Il en est de même bien sûr pour tous les autres collectifs, associations ou simples particuliers, cela d’un point de vue humanitaire ou simplement humain. Mais on voit bien que la question va bien au-delà.
Propos recueillis par JMB