Traduit du russe par Guillaume Fondu, La victoire était entre nos mains (tome 1, février-juin 1917), éditions Smolny, 2023, 896 pages, 32 euros et Au milieu du feu et de la poudre (tome 2, juillet-octobre 1917), éditions Smolny, 2023, 864 pages, 32 euros.
Nikolaï Nikolaïevitch Soukhanov, de son vrai nom Gimmer, (1882-1940), comme presque tous ces intellectuels et activistes qui de près ou de loin ont été liés à la Révolution russe, a fini par être fusillé. Soukhanov n’a jamais été avec les bolcheviques, il était menchevique. Cependant, comme la guerre lui faisait horreur, il était internationaliste. Espèce fort rare… ! Mal vue des mencheviques et des bolcheviques. Il était marxiste et membre du soviet de Petersbourg. Loin, donc, du commentateur qui regarde « objectivement » les évènements de loin et les relate sans s’engager.
Témoin idéal, conteur honnête et captivant
Sa chronique de la révolution russe n’est pas un livre d’histoire et encore moins un traité politique. C’est le récit d’un témoin qui a ses entrées partout, qui connaît tout le monde. Un témoin idéal, loin des partis pris, des manœuvres politiques, des engagements idéologiques fermes, ce que nous pouvons lui reprocher. Pourtant le bon côté de cette manière d’être, c’est qu’elle lui permet d’autant mieux de pénétrer partout, d’observer, de rencontrer tout le monde, d’interviewer, de décrire.
Le lecteur qui porte un intérêt à la Révolution de 1917 ne pourra que se laisser submerger par l’atmosphère de l’époque. Les personnages prendront corps devant lui. Leurs actes, leur psychologie, leurs travers sont brillamment exposés car la révolution c’était aussi cela, une humanité en ébullition certes, dont les camps sont antagoniques, mais composée d’individualités souvent fort attachantes ou repoussantes, voire pitoyables.
Lénine attendait avec impatience chaque livraison de ses « Notes » rédigées dès 1918. Il faut dire que Soukhanov sait écrire : il est proprement captivant ! C’est un authentique conteur, fondamentalement honnête car il n’a pas de boutique à défendre.
Son grand tort est d’avoir gardé son originalité au moment le moins opportun : spécialiste des questions agricoles, notamment de la commune agraire russe, il s’oppose au cours stalinien dans les campagnes, cours qui confine dans certaines régions à un véritable génocide (Ukraine). Au lieu de s’exiler comme beaucoup, il persiste et signe : il est fusillé pour « trahison » autant que pour avoir été le témoin, et l’avoir écrit, de cette éminente médiocrité qu’étaient Staline et les siens.