« Après Mai » (2012), film d’Olivier Assayas avec Lola Créton et Clément Métayer. Actuellement au cinéma.«Je vis dans mon imaginaire, et quand le réel frappe à ma porte, je n’ouvre pas ». Gilles, personnage principal résume assez bien dans cette réplique la distance qu’Olivier Assayas entend prendre avec son sujet. Il ne sera pas question dans ce film d’une reconstitution des événements qui ponctuèrent les années post 68, et encore moins des confrontations politiques animant encore les structures d’un mouvement qui, trois ans après la grande déflagration, restait toujours vivace. La première demi-heure est pourtant ébouriffante, et nous donne un échantillonnage assez précis du quotidien militant de l’époque. La brutalité de la répression policière est présente dés les premières images, filmées avec un réalisme qui nous plonge au cœur du combat de rue, des tirs de lacrymogènes, et des courses à la recherche d’une porte d’immeuble salutaire. C’était un temps heureux où les digicodes n’existaient pas.Les militantEs ayant vécus cette époque se reconnaîtront sans mal dans ces personnages aux cheveux longs, habillés de cabans, de pantalons « pattes d’eph », maniant avec fébrilité la bombe de peinture et le balai, préparant un seau de colle au verre pilé, ou – écologistes avant l’heure - tirant des tract sur un duplicateur Gestetner à main. Ils apprécieront sans doute moins les reconstitutions d’assemblées générales où les affrontements entre groupes politiques sont poussés jusqu’à la caricature, esquivant le fond des débats qui s’y menaient. Comme s’il voulait clore une parenthèse, Olivier Assayas nous entraîne ensuite sur un terrain qui se veut plus poétique, plus personnel. Le prétexte de cette rupture dans le film sera celui de la répression, obligeant chacun et chacune du petit groupe auquel il appartient, à faire des choix individuels. Là encore, le ton sonne juste, et les aspirations des uns et des autres reflètent assez bien celles de toute une génération enfin débarrassée de De Gaulle, mais pas du gaullisme, ni de l’ordre moral. L’épisode du voyage à Amsterdam en bus collectif organisé par le MLAC (mouvement pour la libération de l’avortement et la contraception) est là pour nous le rappeler.Certains partiront un temps à l’aventure, dans un monde où l’on pouvait encore aller de Paris jusqu’en Afghanistan en 2CV. D’autres se perdront dans l’héroïne. D’autres encore continueront de militer à leur façon : Christine en rejoignant une équipe de cinéastes militants maoïstes, Jean-Pierre en se lançant dans l’action illégale. Gilles, lui, ne choisit rien… ou si peu. Ses rapports avec la politique deviennent purement des références livresques (Debord, Simon Leys). En amour, ce ne sera pas mieux qu’en politique : incapable de s’engager totalement, ses hésitations permanentes le laisseront désemparé. Le film, surtout dans sa deuxième partie, est un peu long, manque de rythme et nous laisse un peu sur notre faim. Bien qu’admirablement servi par des acteurs et des actrices pour la plupart débutantEs, il ne parvient pas à restituer l’unicité de l’engagement à la fois politique, culturel et amoureux, que furent mai 68 et les quelques années suivantes. Dans « Carlos », Olivier Assayas nous avait montré son talent à s’emparer de l’histoire d’un personnage aussi mythique que Ilitch Ramirez Sanchez pour lui redonner une juste dimension politique et humaine. Un film lui reste à faire, celui de toute une décennie révolutionnaire née en mai 1968.Alain Pojolat