Interprète de Louis Aragon, Paul Eluard, Jean Genet, Aristide Bruant, Gaston Couté ou Léo Ferré, le chanteur Marc Ogeret est mort le 4 juin, à l’âge de 86 ans, au centre hospitalier de Semur-en-Auxois (Côte-d’Or), où il était hospitalisé depuis plusieurs jours.
Avec cet homme engagé, qui sera enterré un œillet rouge sur la poitrine, disparaît une page entière d’une chanson française poétique et politique, qui, dans les années 1950-1960, était désignée sous le terme de « chanson rive gauche ».
Né le 25 février 1932 à Paris, entre Montparnasse et Saint-Germain-des-Prés, rue de l’Abbé-Grégoire, signe prémonitoire s’il en est pour quelqu’un qui chanta ensuite la révolution, Marc Ogeret grandit dans une famille modeste, avec un père employé au service de santé du ministère de la Guerre et une mère couturière.
À 17 ans, après une scolarité grise aux lycées Montaigne et Louis-le-Grand, il abandonne ses études pour travailler dans une fonderie, puis chez IBM et Renault. Quelques amis qui ont monté une troupe de théâtre le convainquent de les rejoindre et d’arrêter l’usine. Il se pique au jeu et intègre le Centre dramatique de la rue Blanche. Pour assurer l’ordinaire et se permettre un peu d’extraordinaire, muni de sa guitare, accompagné par un copain qui joue de la mandoline, il fait la manche aux terrasses des cafés de Pigalle ou du Quartier latin en chantant Léo Ferré et Félix Leclerc.
Grand amateur de poésie
Un quidam impressionné par sa voix chaleureuse, son timbre clair et sa diction impeccable le recommande à Pierre Prévert (le frère de Jacques, le poète), qui, après avoir tâté du cinéma, dirige la Fontaine des quatre-saisons, un cabaret de la rive gauche. Engagé le soir même, en première partie de Philippe Clay, Marc Ogeret démarre à partir de 1955 une carrière d’interprète amateur de poésie, aussi à l’aise dans la goualante, la ballade tragique ou la chanson populaire.
Comme Francesca Solleville, Monique Morelli, Jacques Douai, Hélène Martin ou Jean-Roger Caussimon, les autres grandes figures de la « chanson rive gauche », il court les cabarets, chez Agnès Capri, La Colombe, etc. Contrairement à eux, Ogeret n’est qu’un interprète, mais sa grande originalité est de mettre en mélodie des poèmes de François Villon, Louis Aragon, Pierre Seghers, Christian Salmon, Marc Alyn, Jean Genet. Et de reprendre les grandes chansons révolutionnaires comme la Semaine sanglante, le Temps des cerises, la Carmagnole, le Triomphe de l’anarchie, etc.
Première partie de Brassens
« Instinctivement, j’ai toujours chanté les chansons historiques, politiques, de la même manière qu’une chanson d’amour. Bien sûr, je ne chante pas tout pareil, mais un poème de Villon, je vais le chanter comme s’il avait été écrit hier. C’est peut-être le secret instinctif de ma manière de chanter. […] Quand on chante une chanson, on ne doit pas tenir compte de l’époque de sa création », confiera-t-il au magazine Je chante, en 1992.
Après une série de 45 tours parus en 1958 et vendus uniquement dans des magasins d’électroménager, où il interprète Béart, Brassens, Ferré et Bruant, Marc Ogeret obtient à partir de 1962, en chantant Aragon (les Mains d’Elsa, qu’il oblige Vogue, sa maison de disques, à vendre dans les Prisunic), une véritable reconnaissance de ses pairs. Il reçoit, en 1962, le prix de l’Académie Charles-Cros. En 1964, Brassens lui demande d’effectuer sa première partie à Bobino, et Ferré lui donne plusieurs chansons.
Une grande sensibilité
En 1968, il célèbre, dans un 33 tours, la Commune de Paris. En 1970, sa reprise du Condamné à mort, de Jean Genet, mis en musique par Hélène Martin, est époustouflante. Il s’intéresse ensuite à Aristide Bruant (1978), à la contestation(Chansons contre, 1980), à la Résistance (Chante la Résistance, 1990), et, grand amateur de voile, aux refrains de matelots (Chants de marins, 1996). En 1999, son dernier album, De Grogne et de velours, rend hommage à son vieil ami Léo Ferré. Diminué par la maladie, il arrêta ensuite, peu à peu, de se produire sur scène, lui qui avait tourné dans le monde entier.
Humaniste, d’une grande sensibilité, ayant en horreur la vulgarité, Marc Ogeret n’a jamais voulu être une star. Engagé à gauche, mais refusant d’être encarté dans un parti, il fut un syndicaliste très actif au sein du Syndicat français des artistes (SFA), proche de la CGT. Il incarne une époque révolue où chanson, poésie et politique fredonnaient en chœur.
Yann Plougastel