Publié le Mercredi 31 mars 2021 à 09h55.

Essai : Contagion virale, contagion économique, risques politiques en Amérique latine, de Pierre Salama

Éditions Du Croquant, 2021, 163 pages, 15 euros.

En 2020, la richesse nationale de l’Argentine était la même qu’en… 1974. Dans ce nouvel opus consacré à l’Amérique latine, Pierre Salama dresse une analyse détaillée de l’impact dramatique de la pandémie de Covid-19 dans le sous-continent. Un virus qui se déploie sur un « corps déjà malade », où se multiplient — après une décennie d’amélioration notable — les inégalités, les violences de classe, de genre et de race, l’affaiblissement des systèmes de santé ou encore les courants réactionnaires (tels que les églises évangéliques).

Urgence et course de vitesse

Le « tsunami » sanitaire est ainsi un facteur exogène qui précipite des tendances déjà à l’œuvre au sein du capitalisme dépendant latino-américain. L’économiste dénonce le danger mortel que constitue, dans ce contexte, ce qu’il nomme les « populismes d’extrême droite » (dont particulièrement Bolsonaro au Brésil), mais il souligne aussi sans détours les impuissances stratégiques des « populismes progressistes » : désindustrialisation, essor de l’économie de rente, montée en force de la corruption. Lumière d’optimisme malgré tout, la pandémie pourrait aussi être selon l’auteur « une opportunité pour changer en profondeur » dans une perspective qui rompe avec le « néocapitalisme » actuel. Certes, mais pour qu’un tel scénario surgisse, seule une mobilisation d’ampleur des classes populaires articulée à des projets politiques émancipateurs pourrait ouvrir à nouveau les possibles. Les derniers mois montrent une dynamique contradictoire, où cohabitent à la fois la multiplication de révoltes et de mouvements sociaux explosifs dans plusieurs pays, mais aussi la fragmentation de celles et ceux d’en bas et la grande difficulté à construire des gauches anticapitalistes et écosocialistes dans la région, qui seraient massives, à la fois unitaires face aux droites et au bolsonarisme (ou à ses avatars), mais aussi offensives quant aux impasses et errements des « progressismes » (du lulisme jusqu’au chavisme). Une urgence et une course de vitesse qui est aussi la nôtre, en Europe. 

Tout en présentant clairement des processus complexes, le livre de Pierre Salama est à mettre entre toutes les mains pour qui s'intéresse à l'économie politique de l'Amérique latine actuelle.