Éditions l’Échappée, 2014, 10 eurosRodolphe Christin, sociologue, détournant le titre du livre mythique de Nicolas Bouvier l’Usage du monde, met face à face le voyage, créateur, libérateur, favorisant la prise de conscience – citant Lao Tseu « sans sortir de ma maison je connais l’univers » – au tourisme, « réponse que la culture du capitalisme libéral apporte afin de canaliser le fond subversif à l’origine de la recherche d’une transformation de sa condition »...
La mobilité est le déracinement né du mouvement des paysans chassés vers les villes par l’Enclosure Act, et qui devinrent ouvriers. Au fil du temps l’ouvrierE assujetti au capitalisme se voit en même temps soumis à des injonctions de mobilité géographique, professionnelle, familiale même. La mobilité devient hypermobilité, interchangeabilité, uniformisation du monde, où le grand marché des individus et celui des objets se croisent et se rejoignent. L’individu est partout, là où sont son « portable » et son ordinateur.
Le tourisme est vu ici comme récupération du temps libre mis à disposition des salariéEs par le capital lui-même, à travers un « aménagement » du monde en lieux le plus souvent clos, où la réalité locale n’entre pas et n’est jamais confrontée. Le libéralisme économique fournit à bon prix tous les ingrédients qui prétendront vous soigner sans plus jamais pouvoir vous passer d’eux.
Citant Michel Keller, l’auteur propose une alternative : « se transformer en évoluant en tant que totalité », redonnant une place de choix au sacré, à la nature non aménagée ou « désaménagée », la force des montagnes, leur poésie, leur ascèse. Quand on voit le nombre de tonnes de déchets que l’on descend de l’Himalaya ou du Mont Blanc, on peut se demander si cela est encore possible.
Un document passionnant, très accessible, où, c’est dommage, la problématique écologique est seulement sous-jacente. Quand on parle d’usure, il s’agit plutôt de la perte de l’âme, du génie et de la diversité du monde. Malheureusement, les deux vont de pair.
Catherine Segala