Traduit de l’anglais par Estelle Ferrarese, La Découverte, 332 pages, 24 eurosC’est peu dire que le féminisme américain a mauvaise presse de ce côté-ci de l’Atlantique. À force de mélanger « des éléments du (post)structuralisme français et la reconstruction du genre », n’est-il pas devenu un « courant de pensée très élitiste » ne menant qu’à des « impasses » (séminaire Copernic, 8 janvier 2013, « Quels féminismes pour changer la société ? ») ? Nancy Fraser n’en disconvient pas, elle montre même comment le « féminisme insurrectionnel », dénonçant d’abord les injustices de genre à l’œuvre dans les États-providences, en est venu à se laisser aspirer par la thématique de l’identité et la revendication de la différence, à ne plus se battre que sur le terrain culturel et à défendre des modèles individualistes venant parfois à l’appui du néo-libéralisme triomphant. Elle démonte avec brio l’aveuglement de ce « féminisme dompté » et la cécité des « théories » soi-disant « critiques » d’Habermas et de ses suiveurs. Mais pour cette militante et professeure renommée de philosophie et de sciences politiques (New York et Paris), c’est la crise du néolibéralisme – lui-même responsable de la mise au rancart des États-providences et de leurs services publics de redistribution – qui fait aujourd’hui attendre le renouveau d’un féminisme retrouvant ses prémisses révolutionnaires. Un féminisme non pas revenu à ses débuts mais revigoré par l’examen critique de ses avancées et de ses retraits, pouvant se joindre efficacement à d’autres mouvements d’émancipation de dimension internationale, à hauteur de cette crise même. Excellemment traduit et annoté, notamment à propos de certaines polémiques pointues dont il établit l’histoire, ce livre parfois ardu mérite d’être lu pour son apport critique, mais aussi parce que le féminisme y retrouve l’ensemble des espoirs qui lui sont associés.Gilles Bounoure
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