Michael Löwy, Éditions de l’éclat, collection Philosophie imaginaire, 2014, 15 euros. Acheter sur le site de la librairie La Brèche. « Le danger d’une défaite actuelle aiguise la sensibilité pour les défaites précédentes, suscite l’intérêt pour le combat des vaincus, encourage un regard critique sur l’histoire », écrit Michael Löwy...
Le livre Walter Benjamin : Avertissement d’incendie, paru il y a peu aux éditions de l’Éclat, est la réédition d’un ouvrage initialement sorti en 2001 aux PUF, retravaillé et augmenté des Thèses sur le concept d’histoire. Ces Thèses ont déjà été largement commentées. Cependant, l’originalité de l’approche de Löwy réside dans sa tentative de dépasser l’apparente contradiction sur laquelle elles sont fondées, à savoir le mélange (indissociable) du matérialisme historique et du messianisme révolutionnaire issu de la théologie juive. Sa proposition est de penser dialectiquement la relation complexe qu’entretiennent révolution et rédemption chez le philosophe, sans les opposer frontalement, mais en regardant plutôt de quelle façon celles-ci s’attirent et se renforcent réciproquement.Les Thèses sur le concept d’histoire, écrites au début de l’année 1940, soit quelques mois avant la tentative de Benjamin de fuir la France vichyste et la Gestapo, fuite désespérée qui s’achèvera par son suicide à la frontière espagnole, sont d’une certaine façon son testament philosophique. Rédigés alors que l’histoire bascule, alors même que tout semble perdu, ces écrits fragmentaires constituent sans aucun doute l’un des apports majeurs à la philosophie de l’histoire. « Texte énigmatique, allusif, voire sibyllin, [...] constellé d’images, d’allégories, d’illuminations, parsemé de paradoxes étranges, traversé d’intuitions fulgurantes », il nous invite à regarder vers le passé afin de comprendre ce dont nous sommes les héritiers.
« Enrichir la culture révolutionnaire »Cet héritage n’est autre que celui des luttes émancipatrices qui jalonnent l’histoire, souvent vaincues, presque toujours effacées des récits officiels, oubliées. Benjamin oppose l’histoire des vainqueurs, qui s’écrit sur nos défaiteS, et la tradition des oppriméEs, qu’il nous revient de porter et d’accomplir. Il s’agit de replacer les mouvements émancipateurs dans un continuum historique, « d’enrichir la culture révolutionnaire de tous ses aspects du passé porteurs de l’espérance utopique : le marxisme n’a pas de sens s’il n’est pas, aussi, l’héritier et l’exécuteur testamentaire de plusieurs siècles de luttes et de rêves émancipateurs. »Dans les moments de découragement, où les défaites pèsent, les luttes stagnent et le futur semble bien incertain, gardons à l’esprit que « contre l’histoire des vainqueurs, la célébration du fait accompli, les routes historiques à sens unique, l’inévitabilité de la victoire de ceux qui ont triomphé, il faut revenir à ce constat essentiel : chaque présent ouvre sur une multiplicité d’avenirs possibles. »
Sophie Coudray