L’institution de la rue Paul-Valéry (Paris 16e) présente jusqu’au 15 juillet une exposition audacieuse par sa révision du rôle des musées, mais aussi réjouissante et instructive dans ses évocations de l’Afrique noire et des Antilles d’aujourd’hui.
«Je n’aime pas trop les musées », telle était la formule provocatrice choisie par Valéry, justement, pour ouvrir sa réflexion sur « Le problème des musées » (1923), ces « maisons de l’incohérence » juxtaposant plus ou moins arbitrairement des « visions mortes ». Non seulement il n’esquissait aucun début de solution à ce « problème », mais il limitait ses vues aux seuls musées des Beaux-Arts. S’il avait envisagé ceux d’ethnographie, il n’aurait pu éviter d’être plus sévère. Au nom de quels principes moraux, juridiques ou scientifiques enfermer dans ces vitrines les vestiges de sociétés pour la plupart réduites ou vouées à disparaître par l’esclavage et la colonisation, sinon pour élever des monuments à ces processus mêmes, à l’instar du Palais des colonies édifié porte Dorée en 1931 ? Cette partie du « problème » reste pendante, même après la création de l’institution « postcoloniale » que serait selon ses promoteurs le musée du quai Branly.
C’est pis encore lorsque ces musées tentent de montrer au public non plus la vie quotidienne de ces sociétés, leurs temps morts, mais leurs moments vifs, leurs temps forts, fêtes et cérémonies beaucoup plus nombreuses, fastueuses et riches de génie collectif que ne le laissent supposer les objets parvenus dans les collections occidentales, amenant parfois les spécialistes à des échanges cocasses : « — Ce masque a-t-il ‘dansé’ ? — Cela se voit.— Mais alors pourquoi a-t-il survécu à la fête ? » Les ethnographes ne savent que faire de ces « faits sociaux » indescriptibles même aux yeux d’observateurs aussi avertis et sensibles que Michel Leiris. Non sans audace, l’exposition du musée Dapper propose de les appréhender à travers le meilleur des arts anciens d’Afrique noire (comme cette institution s’en est fait une spécialité mondialement reconnue), mais aussi en évoquant par divers moyens les mascarades, les cérémonies dansées, les fêtes et les carnavals qui subsistent ou trouvent même à se développer sur le continent africain comme dans la Caraïbe.
Dans cette centaine d’œuvres, l’Afrique animiste est représentée par une soixantaine d’objets de première qualité, rarement ou jamais vus en France, replacés dans « leur contexte de signification » cérémoniel ou festif avec un soin tout particulier grâce aux vidéos et au catalogue très instructif qui les accompagne. Ceux du Mali, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée-Bissau surprendront dans ce musée plutôt porté sur l’Afrique centrale. Mais l’étonnement ira surtout à la quarantaine de masques et d’accessoires issus de récents carnavals, « mas » ou « déboulés » de Trinitad, de Guyane, de Guadeloupe et de Martinique, donnant lieu à autant d’études précieuses dans le catalogue. Si se masquer ou se déguiser est une pratique quasi universelle, et souvent joyeuse comme cette exposition le rappelle justement, l’irrespect et la subversion s’y manifestent selon des degrés et des formes très variables, plus folkorisantes ou plus contestataires par exemple suivant qu’on est à la Martinique ou à la Guadeloupe. Ainsi, par sa démarche comparatiste, cette exposition dispense les premières leçons d’une nouvelle géographie politique, à la fois sérieuse et carnavalesque.
G. B.