La maison de Victor Hugo a invité l’essayiste et poète Annie Le Brun à renouveler la présentation des œuvres graphiques du poète qu’elle conserve. « Les arcs-en-ciel du noir » offrent un spectacle réussi, sur un propos et sous un titre qui le sont moins.
l’ exposition, visible à Paris jusqu’au 19 août, ne surprendra pas les habitués des musées dont les scénographes ont abusé, ces derniers temps, des clairs-obscurs dramatiques avec projecteurs de poursuite et autres accessoires de cirque. Le principe est ici poussé jusqu’à l’obscurité complète, faisant oublier la disposition primitive du musée, vaste appartement aux larges fenêtres ouvrant sur la place des Vosges. Seuls se détachent, chichement éclairés, les dessins d’Hugo et quelques reliques, avec leurs numéros (près de 200), renvoyant à des légendes imprimées dans un livret remis aux visiteurs à l’entrée, mais malaisé à consulter dans cette pénombre. A. Le Brun y précise aussi comment elle a ordonné cette sélection, qu’elle revisite dans un livre catalogue (Gallimard, 150 p., 45 reproductions, 19 euros) associé à la réédition qu’elle préface d’un petit texte d’Hugo, Le Promontoire du songe (même éditeur, 112 p., 6 euros).
« Noir comme la jeunesse », « noir comme le théâtre des passions », « noir comme les voyages », « noir comme la liberté », « le choix du noir », « noir comme l’infini », « noir comme l’éblouissement », telles sont les stations conduisant des dessins de cahiers de classe du futur poète à ses dernières œuvres plastiques, accompagnées des lettres que lui adressèrent Baudelaire, Lautréamont et Louise Michel, pouvant suggérer qu’il se serait finalement rallié au drapeau noir. Dans ce décor nouveau, on ne se lasse pas de contempler une fois encore les rêveries qu’il tirait de son seul matériel d’écrivain, encre, plume et papier. Mais que vaut ce décor ? À côté du « Victor noir » qu’il cherche à mettre en lumière (si l’on ose dire), n’y eut-il pas un « Hugo blanc », non seulement le monarchiste qu’il fut durant un quart de siècle, mais même le républicain, qui se présente ainsi en 1863 dans le livre même que préface A. Le Brun : « Nous le présent… nous la lumière », luttant contre tous ceux qui veulent « tuer le progrès, épaissir le bandeau sur la paupière humaine, masquer le point du jour » ?
De cette rhétorique bien connue, toute en contrastes et balancements parfois lassants, A. Le Brun a choisi de ne retenir qu’un seul pan. Se réclamant du surréalisme, elle s’était d’abord intéressée au phénomène du « roman noir » puis à Sade dont l’œuvre relève partiellement de la même veine. C’est ce qu’elle est allée chercher chez Hugo, non sans prolonger les outrances de son modèle dont elle juge l’œuvre « sidérante », « éblouissante », et victime d’un « anathème » que lui aurait jeté « la modernité », quoique suggèrent du contraire les cérémonies prévues autour du 150e anniversaire des Misérables, divers numéros spéciaux de revues et cette exposition même avec ses deux publications. Noir à souhait, son tombeau de Victor Hugo « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change » mêle heureusement la poésie à l’éloge funèbre. Il n’ajoute ni ne retire rien à l’excellente Légende de Victor Hugo écrite en prison par Lafargue, le gendre de Marx, au moment des funérailles nationales du poète bourgeois, ni à ce qu’en écrivait Breton, « Hugo est surréaliste quand il n’est pas bête », formule qui se vérifie le plus souvent par sa réciproque.
Gilles Bounoure