La maison de Victor Hugo à Paris consacre une belle exposition (jusqu’au 20 janvier 2013) aux expériences spirites du poète proscrit et de ses proches entre 1853 et 1855, ainsi qu’à divers « artistes médiums » qui les ont prolongées chacun à leur façon.Rien n’aurait dû percer de ces expériences. « Les tables nous demandent le silence et le secret », écrivait Hugo à Delphine de Girardin, passée à Jersey initier sa famille et ses proches au dialogue avec les « tables tournantes », ou plutôt « parlantes », activité dont la vogue partie des États-Unis envahissait alors l’Europe. Mais les tables en avaient trop dit et les « esprits » avaient été si diserts que les Contemplations (1856) ne purent que relayer leurs « messages » cryptés, depuis Léopoldine s’exprimant dix ans après sa mort jusqu’au Christ et à ses saints intronisant le poète en messie d’une nouvelle religion. Chaque séance (ce fut longtemps tous les soirs) donnait lieu à d’abondants comptes rendus accompagnés de dessins ou de poèmes dont la publication ne commença qu’en 1923 et devrait s’achever en 2013. Confrontés à la production littéraire et graphique d’Hugo à partir de 1853, ces documents révèlent tout ce qu’elle doit à ces influences « spirites ».Empruntant son titre, Entrée des médiums, à un texte d’André Breton (1922) consacré aux « sommeils » de Robert Desnos, cette exposition n’est pas la première sur le sujet (il y eut ainsi « Victor Hugo et le spiritisme » en 1985 à la bibliothèque Sainte-Geneviève) mais à coup sûr la plus complète. Elle le doit à l’exceptionnelle richesse des archives de la Maison de Victor Hugo (surtout pour ce domaine « secret »), mais aussi à tout le soin déployé par ses concepteurs à rassembler et à mettre en écho les témoignages les plus significatifs et spectaculaires de cette « période des tables ». Car elles « parlaient » sur tous les registres avec des traces de tous ordres, poèmes, dessins, mais aussi photographies, objets ou éléments du paysage paraissant de la sorte « hantés » en permanence, tel ce Dolmen où m’a parlé la bouche d’ombre que le poète des Voix intérieures (1838) dessina près de la baie du Rozel. On ne sait trop pourquoi ces expériences furent abandonnées, lassitude, crainte de la folie ou départ pour Guernesey…À suivre l’exposition, ces séances, quoique secrètes, formeraient comme un prélude à la reconnaissance publique d’artistes « médiumniques » tels Victorien Sardou et Hélène Smith, pour ne citer que les plus connus de ces créateurs ici représentés par plus d’une centaine d’œuvres et de documents. Ces prolongements nécessaires sont complétés, à titre historique, de comptes rendus de douteuses mises en scène de « matérialisation des esprits » illustrant les développements du spiritisme au début du xxe siècle. L’exposition dérape un peu, ou plutôt son très élégant catalogue dans les pages mal informées dues aux sommités de « l’Institut Métapsychique », en incriminant les surréalistes (dont sont montrées diverses œuvres « automatiques » ou « médiumniques ») d’avoir « fait les poches des spirites et des métapsychistes », comme si Marguerite Bonnet n’avait pas fait justice de cette imputation remontant à Jean Starobinski : chez eux et Breton notamment, nulle croyance aux esprits ou à une quelconque « bouche d’ombre », le plus complet matérialisme athée dans la prise en compte des « voix intérieures ». À ce pesant défaut près, l’exposition est des plus réussies. Gilles Bounoure