Jusqu’au 18 août, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente une des plus grandes rétrospectives jamais consacrées à l’artiste précocement emporté par le sida, soulignant la fermeté et la constance de ses prises de position politiques.Keith Haring (1958-1990) n’aura eu pour s’exprimer qu’une décennie, entre 1978 où il arrive à New York et peut assumer son homosexualité, et la révélation, dix ans plus tard, de sa séropositivité. Son dernier tableau, inachevé, date de juin 1989. Son orientation sexuelle et la brièveté de son parcours coïncidant avec les « années sida » et les grandes heures des luttes LGBT ont vite pris un caractère emblématique, faisant souvent oublier ce que son œuvre comportait de critique générale du mode de vie américain, de ses fondements scandaleux et de ses effets ravageurs. La commercialisation qu’il entreprit, sur le conseil de Warhol, de « produits dérivés » de ses créations a probablement contribué aussi à une certaine banalisation de ses « messages visuels » et de leur style, au détriment de la teneur des messages politiques qu’il y associait, divers et consistants. C’est à les rappeler que s’attache cette grande exposition, avec près de 250 œuvres de toutes dimensions au MAMVP, et une vingtaine de très grands formats visibles au Centquatre (5 rue Curial, 75019 Paris).
Un révoltéDe techniques, de supports et de formats très variés, les travaux de K. Haring se trouvent là présentés dans un ordre à la fois biographique et thématique : « l’individu contre l’État ; capitalisme ; les œuvres dans l’espace public ; religion ; mass médias ; racisme ; écocide, menace nucléaire et apocalypse ; dernières œuvres : sexe, sida et mort ». Mais comme d’autres thèmes, le sexe est évidemment présent dès les premiers dessins new-yorkais. The Manhattan Penis Drawings for Ken Hicks (1978) décrit une ville phallique dominée par les verges parallèles (homomorphiques, homosexuelles) du World Trade Center, image à laquelle ce qui est advenu aux Twin Towers, le 11 septembre 2001, donne une résonance critique particulière. Si l’on en a le temps, parcourir à nouveau l’exposition dans l’ordre inverse du chemin proposé aidera à saisir ce qui faisait du jeune Haring un révolté déjà prêt à se lancer corps et âme dans les protestations formant l’une des qualités les plus manifestes de son art.De 1980 à 1985 (moins de 2 000 jours), on estime à un minimum de 5 à 10 000 les dessins à la craie dont il couvrit les espaces publicitaires vacants du métro new-yorkais, toujours en toute hâte de peur d’une arrestation. C’est l’un des nombreux traits militants d’un artiste qui ne refusa pas non plus le passage par le marché de l’art. La première formation qu’il suivit fut le graphisme publicitaire où il ne passa que quelques mois, le temps d’en assimiler les ressorts rendant ses œuvres si frappantes dans quelque format que ce soit, du pin’s aux murs peints de plusieurs dizaines de mètres carrés. La large part de procédés et d’emprunts livresques (derrière Alechinsky et Dubuffet, les bonshommes de Miró) n’éclipse pas ce qu’il y a de personnel chez Haring, tel ce rêve qu’il fit, après l’assassinat de John Lennon en 1980, d’un homme traversé par un chien. Il en a multiplié les figurations sans titre, laissant « à d’autres le soin de les déchiffrer, de comprendre leurs symboles et leurs applications. Je ne suis que l’intermédiaire. » Là, Haring déploie son art le plus incisif et le mieux inspiré.Gilles Bounoure