Au centre Pompidou, jusqu’au 22 septembre.
Une rétrospective en forme de réhabilitation pour cet artiste français, internationalement connu pour ses créations des années 60, puis boudé par le système de l’art et les institutions pendant 30 ans, à l’inverse des Andy Warhol ou David Hockney...
Les années Pop : période d’une inventivité débridée pendant laquelle Martial Raysse côtoie, devance (?) les maîtres du pop art américain : Andy Warhol, Roy Lichtenstein ou Tom Wesselmann, auxquels il est souvent assimilé, à tort : ici nulle Marilyn mais la femme anonyme, coiffure et maillot de bain à la mode publicitaire de l’époque.Un précurseur qui s’essaye à tout avec audace et expérimente de façon subversive : grandes toiles peintes de grands aplats de couleurs primaires ou complémentaires passées parfois à l’aérosol, encollées de reproductions photographiques d’odalisques de Matisse, Ingres, etc. Les références sont nombreuses, irrévérencieuses et leur coloriage décapant. Il casse le châssis de la toile, le tord, incruste des objets, des néons ou des projections de films dans la toile qui se répand sur le mur et le sol. Maître des assemblages de matériaux et objets hétéroclites, entre reliquaires chamaniques et bricolages surréalistes, initiateur des installations telle « Raysse Beach », ensemble de grands portraits de femmes à la plage, parasol et serviette de bains sortant de la surface, avec au sol du sable et, bien avant Jeff Koons, des jouets gonflables et un juke-box.
Protéiforme, imprévisible et dérangeantAutodidacte niçois, benjamin des Nouveaux réalistes autour d’Arman, Klein, Hains, Villeglé, Tinguely, Spoerri, il s’en éloigne rapidement car aux objets usagés de leurs assemblages, il préfère l’instantanéité des objets neufs quotidiens en plastique aux couleurs rutilantes. Passionné par la culture de masse, ses œuvres s’inscrivent dans la critique de « la société du spectacle ».Un parcours international : Milan, Amsterdam, Tokyo, puis l’Amérique. Il vit à New York et à Los Angeles, période très productive, où il découvre le cinéma underground. Il s’y essaye de façon poétique et humoristique dans Jésus Colas, critique de la société de consommation, ou usant à l’excès d’effets de colorisation et de solarisation dans un film expérimental déroutant, Le grand départ.La césure de 68... Raysse rentre en France pour participer activement aux « événements » de 68. Dégoûté par le pop art et sa récupération commerciale, il n’en reconnaît plus la radicalité critique. Il arrête donc volontairement ce type de pratique et se met en retrait pour se réapproprier patiemment des techniques de peinture traditionnelles : le pastel, la détrempe ou l’acrylique.Il réapparaît dans les années 90 avec des paysages singulièrement centrés sur des gros plans parfois mythologiques, et dans les années 2000 avec des peintures monumentales, groupes de personnages grandeur nature, singulière et chaotique accumulation d’individus tragi-comiques, et toujours avec ses portraits de femme légèrement décalés. Les couleurs se réactivent progressivement pour revenir récemment aux couleurs crues de ses débuts.On redécouvre Martial Raysse : après avoir été un des plus brillants précurseurs de la déstructuration des supports de l’art, peut-être est-il aussi un visionnaire du retour actuel à la peinture ? Un grand artiste protéiforme, imprévisible et dérangeant, à voir surtout pour les années 60, même et surtout si on est allergique au pop art.
Ugo Clerico