Au Musée Soulages à Rodez (Aveyron)Le tout nouveau musée consacre sa première exposition à Pierre Soulages, 95 ans cette année, occasion pour sa ville natale de montrer sa recherche artistique constante d’une diversité et d’une complexité insoupçonnée.
Le musée expose avec bonheur ses œuvres sur papier, rarement montrées, depuis les premiers brous de noix de 1947, les peintures huiles ou gouaches, les eaux fortes et les lithographies des décennies suivantes : transparences et superpositions ; couleurs rares et simples sous le noir qui domine peu à peu, laissant encore éclater le blanc du papier.Dans ces formes abstraites et épurées, appliquées avec des outils industriels, brosses de peintre en bâtiment, on cherche vainement un idéogramme, une interprétation sémiotique. Pour Pierre Soulages, l’art est sourd, avec une part de hasard dans le geste contrôlé, les transparences maîtrisées, les matières apprivoisées, les lumières surgissantes : « C’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche ».
Puis à partir de 1979, ses peintures virent au noir complet. La matière, épaisse, est travaillée avec d’infinies variations, rayée, striée, éraflée ou lisse brillante, plus rarement mate, laissant parfois transparaître de rares traces blanches. Ses aspérités accrochent la lumière qui s’irise et fait virer au blanc le noir, cette non-couleur qui les contient toutes et qu’il a dénommé « Ultranoir ». Un rythme primaire géométrique d’une grande force, des motifs secondaires aux variations infimes ou aléatoires, provoquent à la fois un choc et un envoûtement. Des toiles gigantesques, « multiptyques » s’assemblant en continuité, en décalage ou en dissonance, « choses » en lévitation entre sol et plafond selon le vœu de l’artiste, s’ouvrent au regard de chacun.
Un sillon singulier« Ma peinture est un espace de questionnement et de méditation où les sens qu’on lui prête peuvent venir se faire et se défaire»... Recherche sur la matière et la lumière encore pour les vitraux de l’abbaye de Conques où il trouve l’équilibre entre cristallisation et fusion de la silice pour donner cet aspect de pierre translucide qui rend, tant de l’intérieur que de l’extérieur, une lumière ocre ou gris-bleutée non uniforme : harmonie entre pierre du mur et schiste de la toiture, entre Moyen âge et art contemporain. Le musée en explique la genèse.Opiniâtre, il creuse son sillon singulier, volontairement à l’écart de tout mouvement, même celui des expressionnistes abstraits américains Barnett Newman, Mark Rothko ou Franz Kline. Il jouit d’une reconnaissance internationale et figure très tôt dans les plus grands musées du monde. Aujourd’hui, Pierre Soulages revient au pays, merveilleusement mis en scène dans une superbe architecture conçue par les espagnols RC R, composition de blocs brutalistes en acier Corten rouillé, en résonance avec les brous de noix et les eaux fortes ; grandes parois intérieures en acier noir formant un écrin feutré aux Ultranoirs ; échappées visuelles sur le paysage des monts d’Aubrac cher à l’artiste.Souhaitons comme Pierre Soulages que ce tout nouveau musée ne soit pas un musée d’artiste de plus, mais un centre de vie, pédagogique, ouvert à la création multiple et aux autres artistes.
Ugo Clerico