À Paris, le musée du quai Branly présente jusqu’au 14 juillet la plus grande exposition jamais consacrée en France aux « arts ancestraux » de l’archipel philippin, certes nourris d’« échanges », mais aussi de résistances aux colonisateurs successifs.Les Philippines (7 000 îles, 150 langues, plus de 90 millions d’habitants) ne défraient guère l’actualité de ce pays-ci qu’à l’occasion des ravages d’un typhon ou de la révélation de l’emploi au noir par un notable socialiste (Cahuzac) d’une jeune femme sans papiers, réduite par la misère à se vendre comme « bonne à tout faire ». Situation de plusieurs millions d’autres Philippines dans le monde, environ 30 000 en France, dont 90 % sans papiers. Après Magellan (mort là-bas en 1521), l’archipel fut pourtant pour les Européens, et les Espagnols avant tout (cédant la place en 1897 aux États-Unis), un véritable Eldorado. Après avoir pris Manille en 1570, Miguel Lopez de Legazpi, premier gouverneur général des Philippines, édicta que le vol d’or n’y était pas illicite pourvu d’en réserver « le cinquième royal » (20 %), destiné aux caisses de Philippe II. S’appuyant sur les Augustins et les Franciscains, il s’employa aussi à convertir les insulaires (aujourd’hui catholiques à plus de 90 %), tortures et exécutions pour les réfractaires, encomienda pour les autres, c’est-à-dire travail forcé dans des camps miniers ou agricoles confiés à des colons.
Silence, on expose…L’exposition ne dit rien de ces horreurs ni de celles qui suivirent même après 1946, quand le pays cessa d’être colonie américaine mais resta « aligné », spécialement durant la féroce dictature des Marcos (1965-1986). Ni, pour le présent, des exactions des militaires et paramilitaires lancés dans la chasse aux communistes et aux sécessionnistes musulmans du Sud, ni des effarantes conditions de travail régnant dans les ateliers, ni de la misère de la population paysanne (80 %) attendant vainement une redistribution des terres accaparées par de richissimes propriétaires dont le moindre n’est pas Benigno Aquino III, l’actuel président philippin. Ni des assassinats récents de militantes comme Venecia Nestor (19/6/2012), Juvy Capion (18/10/2012) et Ananayo Pugu-on (7/12/2012), défendant les terres ancestrales contre l’appétit des conglomérats miniers que protège une branche spéciale de l’armée, la « Force de Défense des Investissements ». Au musée du quai Branly, il ne saurait être question que d’« art » et de « cultures » : silence diplomatique sur le reste.C’est pourtant ce reste qui fait comprendre l’étonnante variété d’objets (plus de 300) présentés ici avec le concours des institutions nationales philippines, et largement représentatifs de la diversité culturelle de l’archipel où les Occidentaux, pas plus que les Indiens ou les Chinois qui le visitèrent avant eux, ne furent capables de s’imposer en tout point de ses îles au relief volcanique tourmenté, étirées sur 1 700 km de long. Mais ces réalités géographiques auraient été de peu de poids sans l’esprit d’indépendance et de résistance de beaucoup de communautés autochtones, illustré dans l’exposition par un abondant matériel guerrier mais également par les textiles, souvent somptueux. On apprend ainsi grâce au très savant catalogue que si le tissage traditionnel reste pratiqué à Mindanao, la plus riche en or de ces îles, c’est qu’il y vaut acte de résistance, y compris contre les militaires et les conglomérats miniers.
Gilles Bounoure