Illustrant un sujet largement connu, « Hugo politique », la nouvelle exposition de la Maison de Victor Hugo à Paris (jusqu’au 25 août) n’est pourtant pas dépourvue de surprises, grâce au souci des organisateurs d’en présenter toutes les facettes. De son vivant comme ensuite, Hugo a-t-il dû l’essentiel de sa gloire à son génie poétique et théâtral ou à sa quête obstinée, narcissique même, de l’approbation publique qui lui fit multiplier les déclarations politiques, depuis ses premières publications jusqu’à ses derniers écrits ? Ou bien l’un ne pouvait-il aller sans l’autre, compte tenu des circonstances qu’il eut à affronter dès l’enfance, entre sa mère « vendéenne » mais voltairienne, amante d’un officier conspirant contre Napoléon, Lahorie, précepteur (sinon père putatif) du jeune Victor, et son père ancien « soldat de la République » devenu « général comte » et goûtant avec sa maîtresse aux fastes des palais impériaux ? Ces vieux débats, l’exposition et le livret qui l’accompagne se gardent de les relancer mais en fournissent l’essentiel des pièces avec une honnêteté appréciable en ce lieu voué au culte du « grand homme ». Postures et virages…Si peu avertis que les visiteurs (jeunes surtout) soient des postures politiques changeantes adoptées par Hugo au cours du « siècle des révolutions », ils pourront aisément en saisir les virages, les principaux enjeux et le retentissement, notamment grâce à de très nombreuses caricatures de presse choisies pour les illustrer. « Un changement de front. Un grand Poète d’État, poursuivi par la peur des Jésuites et de l’Inquisition, se sauve sur la Montagne », c’est ainsi que le grand discours de janvier 1850 contre la loi Falloux et l’enseignement confessionnel est comiquement résumé par Quillenbois (1821-1867), dessinateur dont le parti versaillais saura réutiliser les planches anti-hugoliennes même après sa mort, quitte à en modifier les légendes. Un autre de ses dessins de 1850 fut pourvu de ce commentaire en 1871 : « Victor Hugo n’a ni moralité politique, ni science politique, ni idées politiques : il ânonne trois ou quatre phrases sur l’abolition de la peine de mort, sur la haine des prêtres et la grande âme du peuple ; voilà tout son bagage oratoire. Il a admis la légitimité de la Commune et a offert sa demeure aux survivants de la lutte ; il n’a de tendresse que pour les assassins et que de l’indifférence pour les assassinés »Propagande trompeuse sur les positions du poète (« Je suis pour la Commune en principe et contre la Commune en application ») mais propagande opiniâtre et parfois haineuse, dont les histoires de la littérature et des révolutions font trop rarement mention comme formant le bruit de fond contre lequel les voix d’Hugo et d’autres eurent à lutter. L’« humanitarisme » puis le « socialisme » dont il se réclama à la fin de sa vie laissent beaucoup à désirer, par leurs silences ou leurs affirmations quelquefois insupportables de paternalisme ou de colonialisme que les documents présentés ne laissent pas dans l’ombre, et c’est peut-être aussi du fait de ces ambiguïtés que les orateurs de ce pays cherchent périodiquement à retrouver des « accents hugoliens ». Reste que le parcours retracé par cette exposition offre une leçon à la fois d’histoire et de politique, le rôle que s’était donné Hugo d’abord sur un mode fantasmatique et théâtral (« Bon appétit Messieurs… ») l’ayant finalement amené aux réalités et au combat. Gilles Bounoure
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