Musée d’Orsay (Paris), jusqu’au 6 juillet 2014.
Non, ce n’est pas une confrontation de plus entre deux grands artistes, le poète qui dessine et le peintre qui a beaucoup écrit, mais une exceptionnelle expo de Vincent Van Gogh, intelligemment mis en scène sur de beaux textes issus du livre d’Antonin Artaud Van Gogh le suicidé de la société, qu’il a écrit d’un jet en 1947.
Cri de colère : Van Gogh n’est pas fou, il a été tué par son psy. Véhémente défense à cinquante ans d’intervalle de celui en qui Artaud voyait son double : une même expérience d’enfermement pour troubles psychiatriques, quoique vécus très différemment ; un même goût pour les autoportraits, à l’instar de Schiele, de Bacon. Mais s’il y a dans les dessins torturés, raturés, d’Artaud, une exaltation et une souffrance extrême – têtes sans tronc, corps transpercés par les électrochocs, membres dépecés –, on perçoit chez Vincent une calme sérénité, une profondeur vaguement inquiète.
Un accrochage subtil
Mis de côté les épisodes anecdotiques de l’individu Vincent : la révolte contre le système marchand de l’art, la rupture avec la religion, la violence contre Gauguin, l’enfermement psychiatrique, la non-reconnaissance de son vivant qui ont contribués à en faire un archétype caricatural du peintre maudit. Évitées également les dissertations sur les thèmes art et folie, psychanalyse et génie créateur. Pas un texte de Heidegger ni de Derrida, même sur les Souliers dont une paire est exposée. Seules accompagnent l’accrochage les belles citations d’Artaud, enflammées, convulsives, aux expressions aussi flamboyantes que les couleurs des toiles qu’il décrit. Place à la seule peinture, à la vérité chère à Cézanne, au sens et à la jouissance selon Lacan de ces « paysages convulsionnaires », cette« orageuse lumière » et « sur ses toiles de quatre sous (…) la couleur roturière des choses, mais si juste, si amoureusement juste qu’il n’y a pas de pierres précieuses qui puissent atteindre à sa rareté ». La jouissance pure en une quarantaine de peintures et une quinzaine de dessins, un exploit, pour la plupart archi-connus : le Fauteuil de Gauguin, la Nuit étoilée, la Chambre de Vincent, l’Église d’Auvers-sur-Oise, 6 Autoportraits et de splendides paysages tel les Champs de blé près d’Auvers mais aussi quelques petites toiles et de sublimes dessins à l’encre et roseau. Seul manque le Champ de blé aux corbeaux, dans lequel on peut néanmoins s’immerger sur grand écran au son du texte d’Artaud.
Ugo Clerico