De Park Chan-wook. JSA, sorti en 2000, est enfin projeté en salle en France. L’actualité y est peut-être pour quelque chose.
Dans un poste de garde situé du côté nord de la zone commune de sécurité (« Joint Security Area ») séparant les deux Corées, une nuit, deux soldats nord-coréens sont tués, un autre blessé, tandis que s’enfuit un soldat du Sud. La tension monte. Afin d’apaiser la crise, la commission de supervision des nations neutres envoie Sophie E. Jean, Suissesse d’origine coréenne, pour enquêter sur le terrain et déterminer le pourquoi de cet incident. Elle recueille divers témoignages, dont celui du soldat rescapé du Sud et se rend progressivement compte qu’en réalité il n’a sans doute pas été enlevé comme il le prétend.
L’histoire d’une amitié aussi brève qu’intense
JSA est un film passionnant, servi par d’excellents acteurs. On y voit, décrit par le menu, les rituels qui gouvernent les rapports entre les deux Corées sur la ligne de démarcation. Face à face, des militaires, en apparence impassibles, s’observent immobiles ; il n’est pas question que même l’ombre d’un soldat du Sud empiète sur le territoire du Nord. Par contre, chacun patrouille sur la frontière au risque, surtout de nuit, de pénétrer sur le territoire du voisin ou de sauter sur une mine et, en tout cas, de créer un incident pouvant déboucher sur un affrontement.
Le réalisateur, dont le film a dû être tourné en studio, multiplie les flashbacks pour faire progressivement appréhender aux spectateurEs ce qui a pu se dérouler cette nuit-là dans ce poste de garde isolé. Le film montre les rapports qui peuvent naître, lorsque les chefs sont loin, entre des soldats qui, pendant des heures, n’ont rien à faire que d’observer qu’il ne se passe rien. C’est l’histoire d’une amitié aussi brève qu’intense. C’est aussi un film politique qui décrit la fanatisation qui règne des deux côtés de la zone : impérialistes contre « cocos ». Comme un officier du Sud le jette avec hargne : « On est soit anti-coco, soit coco ». Park Chan-wook montre à sa façon que les choses sont plus compliquées, tant à travers le comportement des quatre soldats du film qu’à travers le destin de la militaire suisse.
En 2000, date de tournage du film, la situation politique sud-coréenne reste peu stabilisée et Park Chan-wook a donc dû être « prudent », ainsi qu’il l’a déclaré. À un moment donné, le sergent du Nord a une réplique éclairante (ici citée de mémoire) : « Quand les Américains s’énerveront, la Corée du Nord et celle du Sud n’en auront plus que pour trois minutes ». Ce film tient une place particulière dans le parcours de Park Chan-wook ; avec six millions de spectateurs, il fut un immense succès dans son pays.
Une version restaurée, mais le film est aussi visible en DVD.
Henri Wilno