Publié le Mercredi 6 juillet 2022 à 14h54.

La Nation armée, d’André Kaspi

Éditions de l’Observatoire, 224 pages, 19 euros.

La persistance de la culture de l’arme individuelle à une échelle de masse : l’historien André Kaspi revient sur cette marque de la société étatsunienne. Voici les grandes lignes de son analyse.

Plus d’armes que d’habitantEs

Estimé en 2015 à 357 millions, le nombre d’armes dépasse celui des habitantEs aux États-Unis. Leur répartition n’est toutefois pas uniforme : elles seraient détenues par 22-25 % de la population. 7,7 millions d’ÉtatsunienEs, soit 3 % d’entre elles et eux, posséderaient 130 millions de guns. Ces superdétenteurs (possédant de 8 à 140 engins) ne sont pas représentatifs de l’ensemble du pays. Alors que la population résidente a fortement augmenté (de 36 % en 40 ans), les nouveaux arrivants sont moins attirés par les armes. Nous sommes très loin d’un « peuple en armes » appliquant le deuxième amendement de la Constitution de 1791.

La violence armée est l’héritage de l’économie esclavagiste et des guerres menées contre les nations indiennes pour leur prendre leurs terres. Le développement du capitalisme étatsunien est donc fortement liée à cette violence armée sur son propre territoire. À la différence des puissances coloniales européennes, les racistes américains exploitaient leurs esclaves sur leur propre territoire.

Le port d’arme comme le pilier de la liberté

La terrible guerre civile (1861–1865) est aussi une autre situation inconnue en Europe. La peur des révoltes justifiait la possession d’armes. Après la fin de la guerre civile, les bandes du Ku Klux Klan font régner la terreur en désarmant systématiquement les anciens soldats noirs. Les nouveaux citoyens n’auront pas de fusils. Les actes racistes et les assassinats maintiennent une violence inouïe jusqu’à aujourd’hui.

Les spectacles puis le cinéma contribuent à présenter cette violence armée comme une « tradition ». Selon un sondage de 1959, 60 % des ÉtatsunienEs étaient favorables à une interdiction des armes de poing. En 2008, ce pourcentage est passé à 24 %. Pourquoi cette inquiétante évolution ?

Le tournant ultralibéral et nationaliste des années 1980 a contribué à la construction d’un nouveau socle idéologique en présentant le port d’arme comme le pilier de la liberté. Détenir et porter une arme est devenu un geste de ralliement conservateur et un geste de méfiance envers l’État fédéral. La ségrégation raciale et sociale s’est accentuée avec une militarisation des forces de police et une répression judiciaire plus dure.

Dernier constat. Les armes de poing tuent principalement leurs propriétaires. Les deux tiers des décès par arme à feu sont des suicides, ce qui représente chaque année entre 30 000 et 35 000 mortEs. Image horrible d’une société inhumaine.

Article paru dans le n° 370 de solidaritéS (Suisse).