A la suite de l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République, un concert donnait à entendre ce que serait la bande son de son quinquennat : Enrico Macias, Mireille Mathieu ou encore Gilbert Montagné. Le président nouvellement élu dînait avec Johnny Halliday et Doc Gynéco. Un peu navrés, un peu inquiets, on a ri.
Henri Texier, impressionnant contrebassiste de jazz, aime dire qu’il existe un jazz de gauche et un jazz de droite. Au-delà de la boutade, il y a sûrement un rapport entre la musique qui se joue et les convictions sociales et politiques des musiciens. Jouer du be-bop comme Charlie Parker dans les années 1940 marquait une rupture, une forme d’avant-gardisme, jouer aujourd’hui la même musique, sans qu’elle ait évolué, quasiment muséifiée, standardisée, codifiée est le plus souvent devenu une sorte de conservatisme, faisant de ce qui était sa singularité un dogme. Il existe une musique ouverte sur le monde en ce qu’elle s’ouvre aux autres courants musicaux, qu’elle cherche à se dépasser elle-même, pour ne pas s’assécher et finir par se caricaturer.
Certains styles musicaux ont eu des fortunes diverses avec le temps. Qui se souvient que lors d’un concert de Sidney Bechet à l’Olympia, en 1957, la salle de concert fut partiellement détruite par un public hors de contrôle ? Aujourd’hui, on garde dans l’oreille la mélodie un brin sirupeuse de Petite Fleur. Et l’on s’interroge...
Sur les liens entre musique et mouvements sociaux, les questions affleurent : les Rolling Stones faisaient-ils de la politique ? Les Led Zeppelin étaient-ils des cons ? Les Clash ont-ils été l’avant-garde du prolétariat ?
Peut-on attaquer le système avec une crête ? Johnny Hallyday va-t-il être coté au CAC 40 ? Un MC peut-il construire une barricade avec des platines vinyle ? Peut-on résister à une charge de CRS avec une guitare ?
Si le rock (par exemple) fut porteur de révoltes, il ne fut bien souvent que l’expression d’une « révolte sans cause ». Les Beatles, les Rolling Stones, ou encore Led Zeppelin entraînèrent derrière eux des mouvement de foules peu concernées par la situation sociale ou politique. Ils étaient avant tout le résultat d’une évolution majeure de la sociologie des pays occidentaux, accompagnant des phénomènes de massification scolaire, voyant l’émergence d’une jeunesse dotée d’un certain pouvoir d’achat et peu encline à accepter les vedettes de leurs parents (Tino Rossi, Georges Guétary... souvenez-vous).
En France, tout le monde n’a pas eu la chance dans les années 1960 et 1970 d’écouter Gene Vincent, Little Bob ou Trust. Rattrapant et récupérant une partie de ces mouvements musicaux, les maisons de disques ont proposé leurs propres idoles, très rentables (parfois même sur une longue durée), comme Johnny Halliday ou Dick Rivers pour ne citer que ceux qui continuent à mettre des santiags.
Bien souvent coincée entre la marchandisation et le conformisme, la production musicale semble manquer d’espace. L’engagement de certains en faveur d’Hadopi ou dans la promotion de sociétés privées de perception de droits (type Sacem) nous permet facilement de nous moquer.
L’engagement d’autres artistes dans des « causes gagnées d’avance », peut faire sourire tant la naïveté le dispute souvent à l’opportunisme. Mais il est plus facile de voir la cassette audio dans l’œil de son voisin que le mange-disque dans le sien. Car, quelle fut notre bande son à nous ?
Où en est le mouvement anticapitaliste, et plus largement le mouvement ouvrier, de ses liens avec les artistes et les musiciens ?
Interroger les liens entre des courants musicaux et des mouvements politiquesest une affaire complexe et passionnante. Pour commencer (ou reprendre) ce qui pourrait être une série de réflexions sur les liens entre art et politique nous publions dans les pages qui suivent trois articles : autour du mouvement punk rock en France (boire une bière tiède à l’occasion d’un concert punk antifasciste dans un squat reste une expérience fondatrice pour beaucoup), en passant par le rap et en faisant une incursion du côté des enfants perdus du rock.
Un projet d’émancipation peut difficilement se concevoir sans une réflexion (et une pratique) sur la culture. Il y a là un chantier... il y a des accords (désaccords ?) sur la planche.
Pierre Baton