Publié le Mardi 20 septembre 2011 à 18h28.

Livres : L’homme qui a vu l’ours...

« Reste-t-il des grizzlys – ne serait-ce qu’un seul – dans les San Juan ? » (une chaîne de montagnes du Colorado) : c’est autour de cette question que Rick Bass construit son ouvrage les Derniers Grizzlys1. Il ne s’agit pas d’un roman, mais de la chronique de l’enquête réellement menée par quelques hommes et femmes, gouvernés par leur certitude et leur amour de la nature. Passées les premières pages, on se laisse facilement entraîner par ce qui prend des allures d’investigation policière mobilisant tout l’arsenal médico-légal pour découvrir les derniers spécimens de grizzlys, là où les différentes administrations ont déjà acté le constat de leur extinction : « Ce n’est pas tout à fait aussi difficile que de prouver l’existence de Dieu – le grizzly, au moins, laisse des empreintes dans la neige ou la boue –, mais pas loin. »

Ce récit est aussi l’occasion de nombreuses réflexions : sur la chasse ou les armes à feu – des thèmes auxquels nous sommes moins habitués dans la littérature écologiste –, sur notre rapport à l’environnement, sur les avantages et inconvénients des différents programmes scientifiques de protection de la faune, ainsi qu’une histoire naturelle du grizzly : il se dégage de ses pages une fascination à l’égard de cet animal, qui apparaît comme un empereur des ours, en termes de puissance, d’intelligence et de facultés d’adaptation, qui évoquent ce que Pastoureau a écrit au sujet de notre représentation de l’ours : « L’ours n’a peur de rien et est, de fait, pratiquement invincible. »2 Le rapport de nos sociétés industrialisées aux grands animaux sauvages est complexe. Notre emprise sur l’espace naturel est devenue si importante qu’elle rentre en contradiction avec la survie de nombreuses espèces, l’ours en particulier. On le constate en France à chaque annonce de réintroduction d’un spécimen dans les Pyrénées, provoquant une vive controverse sur le bien-fondé de la démarche tout autant que sur la question de la biodiversité et notre capacité à la préserver. Face à cette situation, Rick Bass se défend de rédiger un plaidoyer : « Je réclame seulement un peu d’espace pour eux ». Ce faisant, il interroge nos besoins : cette nouvelle route, cette nouvelle station de ski sont-elles indispensables ?

Lire les Derniers Grizzlys, ce n’est pas seulement se plonger dans le récit d’une enquête. C’est également découvrir une partie de la littérature underground et écolo des États-Unis : Edward Abbey, l’auteur du Gang de la clef à molette, et Doug Peacock, par exemple, apparaissent régulièrement dans ces pages. Que de bonnes raisons de vous aventurer dans ce livre qui vous introduira à « l’autre versant de la nature : le versant animal », ainsi qu’à un pan entier de la société états-unienne souvent méconnu.

Henri Clément1. Les Derniers Grizzlys, Rick Bass (traduit de l’américain par Gérard Meudal), collection Totem Gallmeister, 9,20 euros.2. L’Ours, histoire d’un roi déchu, Michel Pastoureau, Seuil, 2007.