Encore de la poésie ? Eh oui, encore ! Nous nous sommes déjà essayés à l'exercice (1) et nous persévérons. Mais à quoi diable cela peut-il bien servir ? « Parler est facile, et tracer des mots sur la page, en règle générale, est risquer peu de choses », le poète Jaccottet s'interroge de la même façon. Cet imposant recueil est traversé de ce doute incessant sur la place et le rôle de la poésie. Aragon en avait fait « la mathématique de toutes les écritures », par l'attention portée au sens des mots, à la musicalité. Cet art, multipliant les formes, les cadences, se dérobant sans cesse, est une école à la fois de la nuance et de la précision — un exercice rien moins qu'utile pour des militantEs dont le gros de l'activité consiste à argumenter et débattre !
Mais également, « elle pourrait être mêlée à la possibilité d'affronter l'insoutenable », comme le suggère Jaccottet. Chez ce poète, cet « affrontement » se marque par une forme de retirement du monde, ou plus exactement d'éloignement de ses congénères. Dans la plupart des textes, l'activité humaine n'est qu'un bruissement lointain, telle la cognée du bûcheron au cœur de la forêt — le titre de l'un des recueils, Paysages avec figures absentes, fait ainsi programme. Cette perspective traduit une certaine vision politique, bien que l'homme s'en défende — mais sa position à l'égard de Mai 68, exposée ici dans un court texte, est révélatrice. Pour autant, le lecteur n'a aucune obligation de faire sienne « la réticence » exprimée par le poète pour goûter toute la saveur des images et des textes.Nous ne saurions trop recommander cette retraite poétique estivale — une pause dans le fracas militant quotidien. C'est une autre façon de prendre du recul, en se laissant bousculer et en cultivant le dialogue avec un autre point de vue, à la fois reposant et stimulant.
Henri Clément 1- « Tranströmer ou le séminaire du rêve », Tout est à nous ! n°120
Poésie : L'encre serait de l'ombrePhilippe Jaccottet, Poésie / Gallimard, 2011, 10,90 euros