Folio n°6469, 288 pages, 7,25 euros.
En 2014, dans le Donbass, à bord d’une Volga, héritée de l’ex-URSS, deux amis d’enfance plus très jeunes zigzaguent sur un front imprécis où s’affrontent sécessionnistes et forces ukrainiennes. Vladlen (contraction de VLADimir LENine), ex-chef d’orchestre, est pour l’unité de l’Ukraine ; Émile, ancien mineur devenu directeur, est plutôt pour la sécession et le rattachement à la Russie. S’ils vont et viennent face à des combattants fanatisés des deux côtés, c’est en fait parce qu’ils veulent retrouver, l’un la nouvelle élue de son cœur, l’autre sa femme. Émile a aussi quelques affaires pas très propres à régler.
Aux sources de la guerre
Le Donbass, à l’est de l’Ukraine, était une des fiertés de l’ex-URSS, la principale région minière (d’où le titre du livre) dont Stakhanov était le « héros ». À proximité de Donetsk, la capitale, une ville avait été rebaptisée « Torez », en l’honneur de notre Maurice national. À la dislocation de l’URSS, c’est le chaos dans la région, tandis que les mines et la sidérurgie tombent dans les griffes des oligarques vite enrichis et de leurs compères politiciens véreux, tous occupés à gagner le plus d’argent possible, le plus vite possible. Les mineurs perdent leur statut et leurs avantages sociaux. Pour Cédric Gras, qui a vécu 4 ans à Donetsk, c’est une des racines du séparatisme. S’y sont ajoutées les « révolutions » de Kiev (« révolution orange » et Maïdan) qui ont écarté du pouvoir les dirigeants venus de l’Ukraine orientale, et la décision de faire de l’ukrainien la seule langue officielle, alors que cette région est majoritairement russophone. Les Russes interviendront ensuite pour faire pencher la balance du côté séparatiste.
Errance haletante
Cédric Gras se refuse à trancher. Il montre des personnages des deux camps ou des indifférents qui doivent s’accommoder des combats, à l’instar de cette vendeuse d’une boutique qui dispose de petits drapeaux des deux camps pour les arborer à côté de sa caisse suivant la couleur des forces qui prennent le contrôle de son village. « Ukr » et « sépar » instrumentalisent le passé, chacun en leur sens ; du côté des combattants séparatistes, règne un drôle de syncrétisme idéologique mêlant Sainte-Russie, nostalgie soviétique et dénonciation des « fascistes » de Kiev, tandis que les pro-Ukraine se présentent comme l’avant-garde de la liberté face à une Russie éternellement oppressive et à des « terroristes ». « C’est même pas la nôtre de guerre », lâche Vladlen un jour ; « c’est celle du tsar [autrement dit Poutine], du roi du chocolat [Porochenko, le président ukrainien qui a fait fortune dans l’industrie du chocolat], des princes du charbon et de l’Occident outre-Atlantique ».
Ce livre est un roman (et non une analyse géopolitique) au champ géographique (le Donbass) et temporel (l’année 2014) limité. Il ne prétend pas traiter l’ensemble du conflit entre l’Ukraine et la Russie (certains lui reprocheront de sous--estimer les manœuvres poutiniennes) mais l’errance haletante de Vladlen et Émile parmi « Ukr » et « sépar » permet sans doute d’en éclairer quelques aspects.
Henri Wilno