1 CD, chez Domino Records.
On leur reprochera difficilement de penser qu’il est trop tard : ces quatre rockeurs vivant à Detroit ont probablement quelques longueurs d’avance sur nous quant à la désillusion induite par les ravages du chômage de masse et de la société du contrôle. Reportée pour cause de crise sanitaire, la sortie de leur 5e album a coïncidé avec les manifestations mondiales contre les brutalités policières – un des sujets centraux du disque. Hasard troublant mais pas tant que cela, tant il nous arrive de constater que les artistes semblent de moins en moins coupéEs du monde dans lequel ils et elles vivent, et c’est tant mieux.
Lucidité désespérée
Musicalement nous ne sommes pas en présence de virtuoses démonstratifs. Le chant est souvent monocorde et crache les textes avec aridité (les quelques passages mélodiques se détachent de manière d’autant plus forte, comme dans la chanson « Bridge & crown ») ; la basse est à l’avenant. La singularité de ce groupe serait plutôt liée aux tournes rythmiques inventives et à la présence de guitares tranchantes, réverbérées comme dans une usine désaffectée, aux progressions harmoniques inventives. Mais surtout il faut reconnaître que, autant dans les notes que dans les mots, chez ce groupe qui cite Aristote la lucidité désespérée s’accompagne de la plus belle des poésies.
Les clips – à voir sans faute – sont souvent sous-titrés et la lecture des textes finit de nous enlever le doute que nous sommes là à bonne distance de l’insouciance d’un rock historiquement régressif et de ses histoires d’ados, taillées comme telles depuis le commencement par l’industrie du divertissement musical. La vidéo du titre « Processed by the boys » a pour décor un plateau de télé grotesque qui nous met très mal à l’aise, où des policiers qui tentent de calmer une échauffourée entre des figurants le font à leur manière – démesurée – pendant que les animateurs tentent de faire diversion. Les gens ne peuvent vivre ensemble, mais the show must go on. On s’en alarmera et s’en amusera tout à la fois. Car dans ce post-punk au tempo ralenti, la rage revendicatrice et cathartique fait bien souvent place à une ironie distanciée.
Ce qui est formidable dans la musique rock, c’est qu’elle permet encore aujourd’hui la découverte de groupes rares qui savent mêler l’intensité et l’épique à la mélancolie, à l’exemple du titre « The Aphorist ». De ce point de vue (et même si les amateurEs du groupe The Fall ne manqueront pas de relever un cousinage certain avec ce dernier), on pourra ranger Protomartyr également aux côtés de Blonde Redhead.
De temps à autres, une clarinette basse vient discrètement apporter une douceur réconfortante, tout comme cette voix féminine qui, en fin de disque, illumine in extremis cette noirceur somme toute maintenue à bonne dose. Ainsi, dans la lignée de son prédécesseur « Relatives in descent », il ne faudra pas craindre que l’écoute de ce disque nous donne quelques idées noires, mais il le fera de la plus délicieuse manière…