Entretien. Le lundi 8 avril, 17 personnes ont été interpellées en Normandie et en région parisienne et mises en garde à vue dans les locaux de la sous-direction antiterroriste (SDAT) ou dans des commissariats, dont notre camarade Christine Coulon, 65 ans, ancienne conseillère municipale, militante bien connue à Alençon. Nous revenons avec elle sur sa garde à vue et les suites.
Les moyens de l’antiterrorisme dans une enquête sur des actions écologistes, cela surprend ?
Les faits qui sont reprochés concernent l’action du 10 décembre 2023 à la cimenterie Holcin-Lafarge de Val-de-Reuil (Eure) qui s’inscrivait dans trois jours de mobilisations contre le « monde du béton », symbolisé par Lafarge, contre notamment l’artificialisation des terres, dont des terres agricoles. Il s’agissait aussi de dénoncer Lafarge qui est soupçonné d’avoir financé entre 2011 et 2015 plusieurs organisations terroristes, dont l’État islamique, dans le seul but de maintenir en activité une usine en Syrie. L’objectif était, par des actions symboliques, de rendre visible ce que représente Lafarge, d’alerter l’opinion, sensibiliser. De là à penser que la sous-direction de l’antiterrorisme enquête…
Comment s’est passée ton interpellation ? Combien de temps es-tu restée en garde à vue ?
Je suis restée plus de 70 heures en garde à vue. Tout a commencé le lundi matin vers 6 h 20. Après avoir tambouriné à ma porte, quatre policiers masqués, cagoulés et revêtus de gilets pare-balles sont entrés et m’ont signifié ma garde à vue. Tout s’est fait dans le calme. Ils m’ont demandé si j’avais des armes. Ils m’ont lu les chefs d’inculpation : « association de malfaiteurs », « dégradation de biens privés », « séquestration et prise d’otage ». La « prise d’otage » est tombée désormais. Ils m’ont précisé que la peine pouvait aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement, que la garde à vue était de 48 heures et qu’elle pourrait être prolongée par le juge des libertés et de la détention. Ils ont vérifié mon identité. En tout, ils sont restés chez moi un peu plus de deux heures. Au début, je ne comprenais pas pourquoi ils étaient là et puis j’ai compris à leurs questions que cela concernait les Soulèvements de la Terre. Ils ont fait une perquisition de mon appartement, de ma cave, de mon garage et de ma voiture. Ils ont mis sous scellés mes deux téléphones portables. Ils cherchaient des documents, des preuves de mon appartenance à une « association de malfaiteurs ». Je leur ai dit que mes engagements étaient publics, que tout le monde savait, connaissait ma vie militante : tout est public, tout est sur internet. Ils ont trouvé des livres, des autocollants, des affiches de mon organisation politique, le NPA. Dans l’ordinateur (un vieux qui rame), ils ont trouvé des dossiers et dans la clé USB, je leur ai conseillé d’aller voir mes photos de voyage dans les Dolomites !
Et puis, ils m’ont annoncé que j’irai en garde à vue à Évreux. J’ai argumenté pour obtenir de prendre un petit bagage avec quelques vêtements et l’ordonnance de mon traitement. Je suis montée dans une des deux voitures avec trois policiers. Dès le départ, ils avaient précisé qu’ils faisaient partie de la sous-direction antiterroriste (SDAT). J’ai utilisé mon droit à un seul appel téléphonique à un membre de la famille.
À Évreux, il y a eu la palpation, etc. Il faut retirer montre, ceinture, bijoux. Et les chaussures. Mais moi j’ai demandé à les garder. Après un flottement, ils ont accepté, mais j’étais la seule. Et heureusement, car vu le niveau de saleté de la cellule et en particulier des toilettes « à la turque »…
La première audition a eu lieu rapidement, mais l’avocat que j’avais demandé n’était pas là. J’ai accepté l’avocate commise d’office qui a été très surprise par les chefs d’inculpation. La première audition concerne l’identité, la famille, l’emploi, le logement. Il y en aura trois autres jusqu’au jeudi matin.
Dans les trois autres auditions, que t’ont-ils demandé ?
La deuxième audition, c’est le parcours politique. Ma logique a été de considérer que sur tout ce qui est militantisme public, tout ce qui est dans les journaux ou sur Internet, je n’avais pas de raison de ne pas répondre. Tout le monde sait ce que je suis militante politique depuis 45 ans : j’ai été conseillère municipale, j’ai été candidate. Sur les faits en revanche, ma réponse a été : vous n’avez rien à me présenter, je n’ai pas à vous répondre. J’attends de voir pourquoi vous m’avez mise en garde à vue.
Je ne me suis pas cachée que j’étais amie des Soulèvements de la Terre car les questions écologiques font partie de la lutte anticapitaliste, de même pour les luttes contre les oppressions. D’ailleurs, le 25 mars, j’avais amené ma sono pour le rassemblement à Alençon pour les 1 an de Sainte-Soline. Là encore, c’était public !
Ils m’ont demandé si je connaissais Andréas Malm. J’ai répondu en précisant qu’on ne faisait pas un débat politique et que par conséquent mes réponses seraient concises. J’ai dit : « Oui, je connais cet auteur qui lie l’anticapitalisme et les questions écologiques. Je ne l’ai pas lu encore, mais c’est une erreur, je vais le faire prochainement, vous faites bien de me le rappeler. » Et puis des questions sur Action directe, Extinction Rebellion.
Lors de la dernière audition, ils utilisent ce qu’ils ont trouvé dans les portables pour parler des faits, et prêchent le faux pour avoir le vrai, parlent de ce qu’auraient dit les camarades. En général, les auditions, ça dure un peu plus de deux heures.
Ton expérience militante t’a-t-elle aidée à supporter ces 76 heures de garde à vue ?
Pour moi, dès le départ, c’est une opération politique d’intimidation du mouvement écologiste. Ma formation politique m’a aidée. La compréhension politique des raisons pour lesquelles on se retrouve dans cette situation aide à prendre du recul. C’était bruyant et sale mais je n’étais pas à l’isolement comme les militants à Levallois. Eux ont connu des conditions plus difficiles et des arrestations beaucoup plus compliquées que moi.
La solidarité et le soutien se sont-ils vite organisés ? Qu’as-tu ressenti ?
Quand je suis arrivée devant le Palais de justice à Évreux, j’ai aperçu trois camarades du NPA dont notre porte-parole, Christine Poupin. J’ai su par l’avocate qu’il y avait eu un rassemblement à Rouen, et quand je suis sortie du Palais de justice, il y avait une dizaine de personnes d’Alençon (de RESF, du NPA). Elles m’ont dit : « Christine, mercredi soir, on était 120 devant la préfecture à Alençon ». Des militantEs avaient pris la parole. À Alençon, c’était un vrai émoi. C’est impressionnant. Des gens sont venus me soutenir sans forcément partager toutes mes idées. Le collectif fait du bien. On se dit qu’on ne va pas vivre l’après tout seul.
La prochaine étape, c’est la convocation au tribunal le 27 juin avec huit autres personnes ?
Non, pour nous, la prochaine étape, c’est de construire la solidarité ! On a déjà fait une réunion unitaire le 18 avril. Il y a un texte d’appel de solidarité en cours de rédaction qui va être soumis à signatures des organisations et des individus. Ensuite, il y aura une conférence de presse. Sur les neuf militantEs convoquéEs au tribunal, cinq sont sous contrôle judiciaire. Le contact est difficile. On a déjà décidé d’une réunion festive et d’un genre de meeting politique pour ne pas que le silence s’instaure entre aujourd’hui et le 27 juin, pour expliquer ce qui se passe et appeler à la solidarité financière.
Propos recueillis par Fabienne Dolet