Publié le Samedi 4 février 2012 à 12h32.

Durban, un sommet pour entériner l’inaction

En matière de négociations climatiques, l’histoire semble se répéter, chaque nouvel épisode s’avérant un peu plus dramatique que le précédent. Le sommet de Durban qui s’est déroulé en décembre ne fait pas exception dans la longue liste de reculs, de promesses non tenues, d’absence d’engagements fermes face aux bouleversements climatiques. Dès lors, faut-il encore s’intéresser à de tels sommets internationaux, autrement appelés conférences des parties (COP) dont Durban était la 17eédition ? À cette question, il faut répondre oui. D’une part parce que ces sommets participent de la nouvelle gouvernance mondiale et des rapports de forces internationaux, qu’ils révèlent une dimension de l’ordre inique mondial ; d’autre part, parce qu’ils sont désormais l’occasion d’organiser des contre-sommets dans lesquels convergent mouvements sociaux, environnementalistes, femmes, paysans, notamment dans les pays du Sud.

Il y a deux ans, le sommet de Copenhague avait entériné l’absence de perspectives des grandes puissances les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES) pour donner une suite au protocole de Kyoto. Désormais, il s’agit pour elles de mettre fin définitivement aux dimensions les plus progressistes de ce protocole : objectifs chiffrés de réduction des GES, accord international contraignant pour ses signataires, responsabilité commune mais différenciée selon la responsabilité des différents États dans la crise climatique… Qu’un plan international puisse contraindre les industries à modifier, même modestement, leurs modes de production, et que ce soit d’abord aux plus riches de contribuer aux efforts nécessaires, voilà qui est insupportable pour les grands de ce monde, et voilà avec quoi il faut en finir ! Ainsi les États-Unis cherchent avant tout à reporter les responsabilités sur les grands pays émergents, tandis que l’Union européenne se pare de vertu écologiste sans pour autant agir réellement dans les négociations. Avant même le début du sommet de Durban, on apprenait donc qu’aucun accord international ne pourrait voir le jour avant 2016 et entrer en vigueur avant 2020. Quant à mettre en œuvre un programme de financement pour l’adaptation des pays les plus menacés par les changements climatiques – ce qui avait été un des engagements du sommet de Cancùn de 2010 –, on ne voit pour le moment rien venir, et bien souvent ce sont les financements de l’aide au développement qui se transforment en fonds d’aide à l’adaptation. Enfin, le sommet de Durban a confirmé l’orientation selon laquelle la marchandisation des droits à polluer et le recours à des technologies prétendues innovantes (géoingénierie1) devaient être les mécanismes majeurs de résolution du problème.

Ne rien faire, sans que cela se voie

À la fin du sommet de Durban, les négociateurs devaient avoir en tête le scénario de Copenhague, qui met en scène un suspens insoutenable à la suite des blocages des différents protagonistes, puis un dénouement heureux, sorte de happy end climatique, lors de la dernière nuit de négociation après laquelle tout le monde peut afficher son soulagement. Tout cela n’est qu’écran de fumée. Le sommet accouche donc d’une feuille de route censée ouvrir la possibilité d’un prolongement du protocole de Kyoto. Mais quand ? selon quelles modalités? avec quels objectifs ? rien de cela n’a été décidé. Le négociateur états-unien, Todd Stern peut alors bien prétendre que « l’affaire s’est finalement bien terminée, [puisque] c’est la première fois que l’on va voir des pays en développement accepter d’être tenus par un accord légal »sur le climat. En effet, l’accord conclu n’engage en rien son pays ni les autres grands pollueurs, mais met la pression sur les pays les moins responsables des émissions de GES. Dès lors, le flou règne sur les objectifs et sur la forme que pourraient prendre les nouveaux engagements : « un protocole, un autre instrument légal ou une solution concertée ayant une force légale », qui de toute façon ne peuvent pas se négocier avant 2015 (mais que vont faire les négociateurs pendant quatre ans?). Par contre, du côté des certitudes, on peut déjà dire qu’étant donné le refus du Canada, du Japon et de la Russie d’accepter même le principe futur d’un accord contraignant, les possibles engagements ne porteraient que sur 15 % des émissions mondiales de GES.

En route vers les + 4° C

Répétition des promesses déjà faites lors des sommets précédents, inaction et renvoi à plus tard des nécessaires décisions sont donc le résultat de quinze jours de négociations. Cette inaction des grandes puissances industrielles est condamnée par les mouvements sociaux, et notamment la coalition internationale Climate Justice Now rassemblant le pôle le plus radical parmi les activistes présents à Durban qui y voit un crime contre l’humanité et la confirmation d’un apartheid climatique. Nnimmo Bassey, président des Amis de la Terre International, estime ainsi que « retarder toute action réelle après 2020 est un crime aux proportions mondiales […] Une augmentation de 4° C de la température mondiale, permise par ce plan, est une condamnation à mort pour l’Afrique, les petits États insulaires, les pauvres et les personnes vulnérables de l’ensemble de la planète. Ce sommet a amplifié l’apartheid climatique, les 1 % les plus riches de la planète ayant décidé qu’il était acceptable d’en sacrifier les 99 % ». Les ONG environnementalistes en général moins critiques sur les négociations internationales condamnent également ce qui a été signé à Durban, et y voient « un accord gravement déconnecté de la réalité climatique. […] Quant à la prolongation du Protocole de Kyoto, toutes les décisions importantes (durée des engagements, règles de fonctionnement) ont été repoussées à 2012 sans certitude d’aboutir. Si la conférence de Durban devait permettre de nous maintenir sous les 2° C de réchauffement, elle a clairement failli à sa mission. Avec les objectifs actuellement sur la table, nous nous dirigeons vers un réchauffement de 4° C. Pour sa part, le Fonds vert pour le climat a été mis sur pied. Mais c’est une coquille vide puisqu’aucun financement n’a été prévu pour l’abonder. » (communiqué du Réseau action climat, 12décembre 2011)

Occupy COP 17 contre les 1 %

Les mouvements sociaux et environnementaux présents à Durban ne s’y sont pas trompés, eux qui ont multiplié rencontres, débats, interpellations, manifestations, avec plus de 10 000 participants le 3 décembre. Surtout, les responsables de la crise climatique, les irresponsables qui règnent sur le monde sont clairement visés : les États pollueurs, bien sûr, mais également les banques et les marchés financiers qui continuent à jouer le climat en Bourse et à développer le marché du carbone dans un contexte de crise financière et économique inédit. C’est pourquoi, au-delà même de la question climatique proprement dite, les mots d’ordre des mobilisations à Durban font écho au vaste mouvement de protestations et de résistances à l’ordre capitaliste mondial. Des Indignés aux divers Occupy, ce sont de semblables références qui se déclinent et qui lient revendications sociales et écologistes, et dénonciations du pouvoir des banques et des États à leur service. Reste à penser comment s’articulent les mouvements à différentes échelles, car si des références communes sont un pas en avant dans la compréhension commune des enjeux, il n’en reste pas moins qu’un tel mouvement doit s’ancrer dans des luttes locales et populaires. Et les exemples ne manquent pas. Ainsi en Afrique du Sud, les mouvements pour la justice climatique, tant du côté syndical avec la confédération Cosatu que du côté des associations écologistes, mènent campagne pour la création d’un million d’emplois verts permettant de changer le modèle énergétique du pays et se battent pour l’accès à l’eau et à l’électricité. En Amérique latine, si les gouvernements progressistes font face à des contradictions quant à l’utilisation de leurs ressources, le sommet de Cochabamba en 2010 et l’appel qui en est sorti ont eu un impact fort dans les mouvements des différents pays. En France et en Europe, on voit émerger des convergences entre luttes qui restaient jusque-là éparses, que ce soit à travers les rencontres des collectifs contre les grands projets inutiles d’abord cet été en Italie, puis à Paris en novembre dernier à l’occasion de la tracto-vélo contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ou lors de la convergence citoyenne pour la transition énergétique de Lézan en août denier qui affirme comme nécessité « la reprise en main par les citoyens des décisions qui les concernent, le refus de la marchandisation de la nature et de ses ressources, [la dénonciation des] pièges du capitalisme vert, et la définition de la terre, de l’eau, de l’air, de l’énergie et du vivant comme biens communs inaliénables et accessibles à tous »2.

C’est bien à partir de telles initiatives, quand les premierEs concernéEs font face à un problème et prennent leurs affaires en main, que s’élabore, certes trop lentement au vu des urgences écologiques, une autre société possible, qui ne sacrifierait pas les terres, l’air et le sol, aux appétits des promoteurs d’un système énergétique destructeur.

Au-delà des convergences des luttes écologistes, un autre défi se pose cependant pour les mouvements sociaux et environnementaux, à savoir comment la profondeur de la crise économique actuelle surdétermine pour une large part la situation et les luttes du présent, et comment alors intégrer les luttes écologistes au combat contre l’austérité et le paiement de la dette. Cette question ne peut recevoir de réponse rapide, mais il est déjà plus que temps de dire qu’organiser une transition énergétique d’ampleur, permettant de sortir du nucléaire et de baisser fortement l’usage des énergies fossiles, ne peut se faire avec les niveaux de dette actuels. Et que donc pour réussir une telle transition, les peuples ne doivent pas payer la dette illégitime, et qu’une partie des fonds destinés au remboursement des dettes doivent donc être réorientés vers les transformations de notre modèle énergétique et la solidarité internationale.

Vincent Gay

1. « La géoingénierie est un ensemble d’interventions délibérées et à grande échelle sur les océans, les sols et/ou l’atmosphère terrestre, dont on discute le plus souvent dans le contexte de la lutte contre les changements climatiques. La géoingénierie peut englober une vaste gamme d’interventions, notamment l’injection de particules de sulfate dans la stratosphère pour réfléchir les rayons solaires, le déversement de particules de fer dans les océans pour favoriser l’absorption du CO2 par le plancton, la pulvérisation d’iodure d’argent dans les nuages pour déclencher des pluies et la modification génétique des cultures végétales pour que leur feuillage reflète davantage les rayons solaires. » Voir plus de détails sur http://www.etcgroup.org/…

2. Déclaration disponible sur http://www.convergenceen…