Le fort ralentissement imprévu de l’économie américaine au 1er trimestre est venu rappeler l’incertitude des scénarios de reprise de l’économie. Début mai, la Commission européenne affichait son optimisme mais c’était avant le nouvel épisode de la crise grecque. Le Brésil est toujours flageolant tandis que, pour éviter un ralentissement trop fort, la direction chinoise a dû procéder à de nouvelles injections massives de crédits. Au total, et malgré l’impact de la baisse des prix du pétrole, le tableau de l’économie mondiale est moins florissant que ne feignent de le croire ceux qui voient la reprise au coin de la rue. Au mieux, ce sera une croissance limitée et heurtée sur fond de désastre social.
Une recomposition du monde du travail
En effet, à travers la crise se produit une profonde recomposition du monde du travail. Le chômage a frappé 201 millions de personnes dans le monde en 2014, soit environ 30 millions de plus qu’avant le début de la crise. L’emploi stable à temps plein est en recul. Une forte part des nouveaux emplois salariés est à temps partiel ou à durée déterminée. Les femmes sont représentées de manière disproportionnée dans les emplois salariés temporaires et à temps partiel.
Dans un certain nombre d’économies « avancées », on observe même une tendance à la baisse de la part des emplois salariés ; par contre, le travail indépendant ou pseudo-indépendant (salariat camouflé) est en progression. La productivité augmente plus vite que les salaires dans la plupart des régions du monde. Si dans certains pays émergents (notamment en Chine), les salariés arrachent une progression de leurs rémunérations, la croissance des salaires est ralentie dans les économies développées.
Une économie dopée
Le processus de restauration des taux de profit avance, certes, mais les risques de soubresauts financiers majeurs se renforcent. L’économie est dopée aux faibles taux d’intérêt et aux déversements d’argent vers la finance par les banques centrales. Les grandes bourses sont à la hausse. En Chine, les bulles spéculatives (cours boursiers, immobilier) s’accumulent. Au point que cela alarme un certain nombre d’organismes internationaux comme la BRI (banque des règlements internationaux, chargée d’élaborer les règles de fonctionnement des banques). Dans un rapport publié le 29 juin, celle-ci met en garde contre l’accumulation des déséquilibres financiers et résume la situation d’une phrase : « Plus on tend un élastique, plus il se contracte violemment. »
C’est dans ce contexte général que se situe ce que les dirigeants et leurs appareils de propagande appellent la « crise grecque » mais qui, pour nous, est la pointe avancée de la résistance des peuples européens au carcan austéritaire dans lequel les gouvernements de droite et « de gauche » veulent les enfermer
Il y encore trop d’inconnues pour en déterminer l’impact précis mais la crédibilité de l’euro est atteinte, ce qui va certainement renchérir les conditions d’emprunt des pays considérés les plus fragiles de la zone euro comme le Portugal et l’Espagne, voire l’Italie. Pays dont les peuples ont déjà payé un lourd tribut en termes de chômage et de baisse du niveau de vie. Malgré tous les dispositifs mis en place depuis 2010, le risque de contagion financière n’est pas écarté.
Les deux crises de l’Union européenne
Plus profondément, l’Union européenne est au carrefour d’au moins deux crises. D’un côté, la résistance aux politiques d’austérité qu’exprime la Grèce. De l’autre, l’essoufflement de la dynamique européenne et le regain des nationalismes réactionnaires dont une des traductions est le chantage à la modification des traités (voire à la sortie de l’Union européenne) du gouvernement conservateur britannique. L’Europe reste donc, au moins dans l’immédiat, la plaque sensible du monde en recomposition dans la crise. Sauf en Grèce, et dans une certaine mesure en Espagne, luttes et perspectives politiques y restent aujourd’hui trop dispersées ou trop faibles pour recréer l’espoir d’une issue progressiste. D’autant que les pouvoirs savent très bien utiliser les retombées des crimes plus ou moins directement inspirés par Daesh.
Mais dans ce contexte d’incertitude ainsi que de dégoût et d’exaspération sourde de larges secteurs populaires, il ne faut pas exclure des accélérations, des tournants brusques qui mettraient anticapitalistes et révolutionnaires en situation de contrebalancer « le désespoir contre-révolutionnaire » (pour reprendre une expression de Trotsky).
Henri Wilno