« Un travailleur détaché (...) vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place », a osé déclarer Jean-Luc Mélenchon, le 5 juillet devant le parlement européen. Des affirmations et des conceptions nauséabondes, qu’il est indispensable de démonter et combattre.
Un travailleur « détaché » est un salarié envoyé par son employeur dans un autre Etat membre de l’Union européenne en vue d’y fournir un service à titre temporaire. Le travail détaché est régi par une directive européenne de 1996. Le salaire minimum du pays qui accueille le travailleur s’applique (quand il existe un salaire minimum national), ainsi que sa législation en matière de temps de travail, de congés payés et de santé, de sécurité et d’hygiène au travail. En revanche, les cotisations sociales appliquées sont celles du pays d’origine.
En 2015, 286 025 travailleurs détachés ont été déclarés à l’administration française : un chiffre en hausse de près de 25 % par rapport à l’année précédente et multiplié par dix en une décennie. Le phénomène est particulièrement sensible dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) où officient 27 % des salariés détachés. Viennent ensuite l’intérim (25 %) et l’industrie (16 %).
Le nombre de travailleurs détachés non déclarés est d’au moins 80 000 et, selon certaines sources, serait pratiquement équivalent au nombre de ceux qui sont déclarés. Certaines entreprises battent des records en matière de travail détaché. Ainsi, sur les chantiers navals STX à Saint-Nazaire, la part des travailleurs détachés est, selon la direction, de 25 ou 30 % lors des pics d’activité, ce qui représente de 1500 à 2000 personnes sur les 6000 salariés de STX France et de ses sous-traitants. A Dunkerque, EDF a employé jusqu’à 59 % de main-d’œuvre étrangère lors de la construction du terminal méthanier...
Une étude récente du ministère des finances (Trésor Eco n° 171, juin 2016, Concurrence sociale des travailleurs détachés en France : fausses évidences et réalités) conclut qu’en termes de coût du travail pour un employeur français, pour un emploi rémunéré au SMIC, recourir dans un cadre légal à un travailleur détaché venant du Portugal, de Roumanie, de Pologne ou d’Espagne est équivalent à employer directement un salarié soumis aux règles françaises. C’est en fait la conséquence des exonérations de cotisations sociales des employeurs. Mais cela ne vaut que si la loi est respectée, notamment pour ce qui est des heures supplémentaires, alors que les contrôles de l’inspection du travail montrent souvent le contraire.
Non respect de la loi et des qualifications
Dans beaucoup d’entreprises, des accords prévoient des compléments de salaire et les travailleurs détachés n’en bénéficient pas. Enfin, les détachés sont souvent payés en-dessous de leur qualification. Libération du 19 juillet 2016 s’est ainsi intéressé aux salariés détachés polonais employés sur le chantier d’un bâtiment parisien destiné à abriter des services dépendant de Manuel Valls.
Les salariés en question – des soudeurs –gagnent le SMIC français et normalement, leurs heures supplémentaires sont rémunérées. Mais comme le précise le journal : « comment, en effet, vérifier que l’employeur les déclare, qu’il n’y a pas d’abus ? La gérante de la société employant les travailleurs détachés polonais du chantier assure que "ce sont [les] travailleurs détachés qui réclament de faire des heures supplémentaires. Ils peuvent gagner entre 1700 et 1900 euros nets par mois, pour 44 heures de travail par semaine, heures sup incluses. Et c’est vrai que nous, ça nous coûte moins cher". Là encore, ces chiffres sont impossibles à vérifier, faute d’avoir pu consulter un contrat de travail. Une chose est sûre : à travail égal, un soudeur français, lui, gagnerait entre 2 500 et 4 000 euros net… »
L’étude précitée du ministère des Finances précise que d’après une étude européenne, dans certains secteurs, notamment celui du transport routier, les travailleurs détachés percevraient une rémunération jusqu’à 50 % inférieure à celui des travailleurs locaux !
Non, les travailleurs détachés ne volent pas le pain des travailleurs français. Ce sont des travailleurs comme les autres, victimes d’une exploitation renforcée et, comme pour leurs collègues français, ce sont les patrons français qui les embauchent et les renvoient. La directive européenne de 1996 ne prévoit aucune garantie de représentation collective des salariés détachés, ce qui rend plus difficile encore le respect de la législation et de la règlementation sociales. Plutôt que d’opposer les travailleurs les uns aux autres, notre mot d’ordre doit être « à travail égal, salaire égal ».
Et, paradoxalement, comme le note le juriste Jacques Freyssinet, ce devrait être la règle aux termes mêmes des traités européens si, dans la directive de 1996, le travail détaché n’était pas considéré comme une prestation de service mais relevait de ce qu’il est en réalité : la circulation des travailleurs d’un pays à l’autre.
Henri Wilno