Le dernier ouvrage de L. Gill, militant politique et syndical canadien de la première heure et enseignant d’économie à l’Université de Québec à Montréal, est paru. Ce petit livre devrait intéresser les anticapitalistes, et plus généralement les opposants au paiement d’une dette publique « 100 % illégitime ». Une démonstration en trois temps.
De la crise de la dette privée à la crise de la dette publique
Le premier chapitre revient sur l’étape actuelle de la crise. Son titre résume le propos : « du sauvetage des banques par les États au pillage des peuples et des États par les banques »...
L’auteur montre comment les recettes utilisées pour sortir du krach dit de « la nouvelle économie » ont abouti à la crise dite des subprimes, puis aux faillites en série d’institutions financières (Lehman Brothers, etc.), obligeant les États à intervenir et à endosser les dettes de ces institutions. Ainsi « de 2007 à 2009, l’endettement moyen des administrations publiques des pays avancés du G20 est passé de 78 % à 97,5 % du PIB et le FMI prévoit qu’il atteindra 115 % en 2016 »...
En toile de fond de la crise actuelle, l’auteur évoque une « accumulation sans entraves d’un capital volatil caractérisé par la complexité et l’opacité de ses composantes », un processus rendu possible par les politiques néolibérales suivies depuis 1979. À la suite de François Chesnais, Gill insiste sur les conséquences du déploiement d’un système bancaire occulte (« shadow banking ») et incontrôlé. Une évolution favorisée par la titrisation des dettes, c’est-à-dire la transformation des dettes en produits financiers de plus en plus complexes dont une partie échappe aujourd’hui au bilan des banques.
Monnaie, crédit
Dans un second temps, Gill aborde la question de la monnaie et des conditions dans lesquelles opère le capital financier. Au-delà de rappels théoriques, il démontre que face à une crise dont personne ne nie ni l’ampleur ni la dimension financière, rien de crédible n’a été fait pour tenir la finance sous contrôle.
Notamment, les diverses normes encadrant l’activité bancaire (Bâle III....) s’avèrent bien peu contraignantes. Il est à ce propos dommage que Gill n’ait pas expliqué les causes d’un tel état de fait, à savoir qu’un retour au mode de contrôle du capital financier qui avait cours lors des « 30 glorieuses » n’est pas concevable.
Enfin, l’auteur décrit et insiste aussi sur le développement et le mouvement autonome du capital fictif (essentiellement composé de titres divers). C’est l’hypertrophie de la finance qui explique largement l’extrême faiblesse systémique du système capitaliste actuel, la succession de crises.
L’impasse monétaire internationale
Dans le dernier chapitre, Gill revient sur la crise non résolue depuis 1971 du système monétaire international. C’est sans doute le grand intérêt de l’ouvrage – ces aspects étant quasiment ignorés par ailleurs.
On sait en effet que le 15 août 1971, le président Nixon annonça l’inconvertibilité du dollar par rapport à l’or, en d’autres termes la fin du système financier dit de Bretton Woods, qui prévalait depuis 1945. En tout cas, depuis cette date, on est entré dans un période de désordres monétaires extrêmes, accompagnant le déclin relatif de l’impérialisme US.
Pour en finir avec ce désordre et ses conséquences (notamment les spéculations en tous genres), il faudrait une monnaie internationale, ainsi que Keynes l’avait déjà préconisé sans succès en 1944. Mais tout montre que la tâche demeure hors de portée pour des bourgeoisies en crise récurrente.
Un point de vue anticapitaliste
L’auteur conclut en relevant deux questions cruciales.
La politique de transfert des créances privées vers la collectivité est justifiée par le fait que les banques sont désormais « trop grosses pour faire faillite ». Mais dans ces conditions, peut-on laisser de telles institutions aux mains de capitalistes privés, tenant alors toute la société en otage? Poser la question, c’est évidemment y répondre.
Par ailleurs, on ne peut que suivre l’auteur lorsqu’il insiste sur l’illégitimité de la dette publique, dans laquelle il voit « le résultat de la complaisance de l’État envers l’évasion et l’évitement fiscaux et des réductions d’impôts accordées aux entreprises et aux nantis de la société ».
Que dire de plus, sinon qu’il faut lire ce livre, l’utiliser dans l’action politique ? Il ne fait d’ailleurs aucun doute que tel était l’objectif de Gill en l’écrivant !
Pascal Morsu