Entretien. Les 19 et 20 octobre, la CGT Goodyear appelle à se rassembler massivement à Amiens à l’occasion du procès en appel des 8 militants et salariés de Goodyear, dont Mickaël Wamen que nous avons rencontré. Les 8 avaient été condamnés à 9 mois de prison ferme en première instance le 12 janvier dernier...
Quel sens donnes-tu à la mobilisation des 19 et 20 octobre ?
Il faut d’abord bien comprendre que c’est inédit. C’est la première fois sous la 5e République que des salariés et militants sont condamnés à la prison ferme pour avoir défendu leur emploi. On ne peut pas laisser passer cette condamnation scandaleuse. Ça pourrait ouvrir la porte à bien d’autres du même genre. C’est le premier objectif : nous voulons la relaxe.Mais il faut comprendre aussi le contexte. Les cadres de Goodyear avaient retiré leur plainte, et c’est donc le procureur, c’est-à-dire ce gouvernement socialiste, qui nous poursuit et qui a exigé cette condamnation. Rebsamen avait d’ailleurs déjà autorisé nos licenciements, malgré les avis défavorables de l’inspection du travail et de la Direccte.
Le Medef et le gouvernement à ses ordres, avec l’ANI, les lois Macron, Rebsamen, El Khomri et bien d’autres, ont décidé de liquider les protections sociales et le code du travail. C’est le CDI, le repos du dimanche, la possibilité de se défendre au travail comme le droit de se soigner correctement, d’avoir une protection contre l’âge et le chômage qui sont attaqués. C’est un retour vers le 20e siècle. Pour ça, il leur faut s’attaquer à toutes les libertés, en particulier dans le monde du travail : droit de grève, droit de manifester et liberté d’expression... Ils veulent faire de notre condamnation un exemple pour tenter d’intimider tous ceux qui tentent de relever la tête. Et cela d’autant plus qu’aujourd’hui ils craignent les révoltes que pourraient occasionner en cette rentrée une nouvelle et énorme vague de plus de cent plans sociaux. Surtout après les quatre mois de lutte de ce printemps contre la loi travail, qui n’est d’ailleurs pas finie, puisque le 15 septembre, on était encore là. Et c’est pas fini !
Notre condamnation est inacceptable. Mais il y a aussi de nombreuses poursuites et condamnations de militants syndicalistes auxquelles s’ajoutent ces derniers mois des centaines de poursuites en cours contre des jeunes et des syndicalistes qui ont manifesté ce printemps contre la loi travail. Tout cela a le même sens : le combat contre la loi travail et contre la répression des jeunes et des syndicalistes est le même. Le combat pour notre relaxe est donc le combat contre la loi travail, contre la répression, contre les plans sociaux en cours, et contre toutes les régressions sociales.
Tu souhaites unifier tous ces combats ?
Notre combat pour la relaxe est central, essentiel, mais de fait, il unifie tous ces combats et plus encore. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il y a plein de gens, de militants qui se battent mais chacun dans leur coin. La plupart de ces jeunes poursuivis pour les manifestations contre la loi travail se défendent isolés, en position de faiblesse, ou alors sont soutenus dans une ville mais pas au-delà. Alors oui, nous nous battons aussi pour l’arrêt des poursuites et la relaxe de tous ces jeunes et tous ces syndicalistes mais aussi des écologistes que Hollande a poursuivis au moment de la COP21 et après, des zadistes, des migrants... et pour la mémoire de Rémi Fraisse, tué un 26 octobre pour ses idées.Amiens les 19 et 20 octobre, cela peut être un moyen de se regrouper, de s’unifier. J’ai d’ailleurs proposé d’ouvrir une page Facebook pour faire ne serait-ce que la liste de tous les cas actuels de répression... mais aussi de plans sociaux. Et avec des camarades, on commence à le faire. On va essayer de contacter tous ceux qu’on peut. J’ai ainsi proposé aux camarades de l’Alstom de se mettre à leur service s’ils le veulent, y compris avec notre avocat. Et j’invite toutes les victimes des plans sociaux, tous ceux qui les combattent aujourd’hui, à se retrouver à Amiens. Ils pourront prendre la parole à la tribune. Ce sera aussi ça, Amiens : une tribune pour une défense collective contre les plans sociaux, sur le terrain de la lutte, mais aussi pourquoi pas juridique, des « class action » par exemple.
C’est un peu ce que devraient faire les confédérations syndicales, non ?
Oui, mais hélas, elles ne le font pas. Il y a à l’heure actuelle beaucoup de luttes dont pas mal gagnent, sur le terrain social comme juridique. Pour ne prendre que deux exemples récents, des camarades ont été réintégrés chez Bombardier après un procès, et les postiers de Rivesaltes ont obtenu tout ce qu’ils voulaient, des embauches notamment, après plus de sept mois de grève.Mais là-dessus, comme sur des dizaines d’autres, pas d’info ou le minimum, même pas de listage. Ils ne veulent pas de la culture du combat, de la « gagne ». Par contre quand on perd, quand il y a des licenciements, des défaites, reculs, échecs, là on a la totale, des lignes et des lignes, les premières pages... et la solidarité après coup. Comme ça, les gens sont démoralisés, résignés : ils se disent que personne ne lutte, qu’on ne peut rien faire, qu’il ne reste qu’à se débrouiller tout seul...Et puis, il faut se rappeler le 23 février, au tout début de la loi travail : celle-ci est annoncée... et toutes les confédérations l’acceptent, avec seulement des aménagements à la marge. C’est uniquement parce qu’il y a eu l’appel à manifester le 9 mars par les organisations de jeunesse et la pétition de plus de 1 million d’internautes que certaines des confédérations ont suivi le mouvement.
Et au 51e congrès de la CGT de ce printemps, Berger et le PS étaient invités d’honneur... Par contre, les militants qui ont mené et gagné des bagarres, ceux des Grands Hôtels, nous-mêmes, les victimes de la répression, eh bien non...Aujourd’hui, FO dit que c’est fini, il n’y aurait plus qu’une bagarre juridique à mener, et la CGT parle de lutte... mais dans chaque entreprise, alors qu’on était encore 180 000 dans la rue le 15 septembre pour la reprise, ce qui était plus que bien !Pour la répression, c’est pareil. Les confédérations dénoncent, les militants organisent des protestations locales, mais rien de sérieux n’apparaît comme riposte centrale et surtout, rien en liaison avec la lutte contre la loi travail. Ce n’est pas quand les prisons seront pleines de militants que nous devrons réagir. Ils ne font pas semblant, ils tapent dur et fort.
Alors, Amiens, ce sera la fédération, la convergence des luttes et des organisations, que l’on soit CGT, FO ou Solidaires... et tous ceux qui le veulent, autour d’un combat lutte de classe. Alors, oui, ces 19 et 20 octobre, ce sera la suite du 15 septembre.Comment se présente la mobilisation et la préparation concrète des journées des 19 et 20 octobre ?Ça va être massif. Les comités Goodyear – il y en a 80 – sont en train de préparer des bus. J’ai repris ma tournée de meetings comme au printemps. On met la gomme et on accélère. Des UL CGT, des comités anti-répression annoncent aussi des bus.Il y a même plusieurs bus qui viennent de Belgique. Là-bas aussi, ils ont leur loi travail, ça s’appelle la loi Peeters. J’ai fait un meeting en Belgique, l’accueil était enthousiaste. Notre combat n’est pas que français, il déborde les frontières, y a les mêmes attaques dans toute l’Europe.
Le 19 au soir à Amiens, on va organiser avec des Nuits debout, un « Relaxe debout », il y aura aussi un « village des luttes »... On fera d’Amiens la capitale des luttes, de leurs convergences, et on va gagner.Au niveau des gens, des militants, l’accueil est fabuleux, on reçoit des encouragements de partout... Au niveau des organisations, c’est plus frileux mais elles vont suivre. J’ai demandé à la CGT de lancer un appel à la grève les 19 et 20 pour que les gens puissent venir sans problème. Ça serait incompréhensible qu’elle ne le fasse pas.
Et après ?
Le rendu du jugement sera sûrement donné après le 20 octobre, mais quelle que soit la date, nous y reviendrons en nombre. Et puis, nous devons multiplier les appels. Aucun des menacés dans nos rangs n’est un voyou, un criminel, un bandit, aucun de nous n’a détourné des fortunes. Nous devons nous unir plus que jamais pour l’arrêt de toutes les poursuites, la relaxe pour tous ceux qui sont déjà condamné qui seront aussi autant d’étapes contre la loi travail. Nous répondrons à chaque mauvais coup. C’est à la rue d’aller chercher le changement en matière de justice sociale, car nous n’attendons rien des élections de 2017. De toute façon, moi je me bats pour un monde meilleur, sans exploitation. Alors on n’a pas fini, on commence.
Propos recueillis par Jacques ChastaingPour prendre contact avec les Goodyear, s’informer de la mobilisation et transmettre des informations sur les initiatives pour les 19 et 20 octobre : wamenmickael@free.fr