Par Robert Pelletier
Alors que le chômage et la précarité ne cessent de s’étendre, que les licenciements se multiplient dans tout le pays, le drame social qui menace avec le projet de suppression de 8 000emplois et de fermeture du site PSA d’Aulnay cristallise en cette rentrée bien des enjeux sociaux et politiques...
Dans le Monde Diplomatique d’août dernier, Frédéric Lordon titrait : « Pour en finir avec la crise – Peugeot, choc social et point debascule ». De son côté, le syndicat CGT d’Aulnay s’est engagé à « être le cauchemar de Varin » (PDG de PSA). Le conflit pourrait bien conduire au premier affrontement de classe majeur du quinquennat de Hollande. Et ce dernier, avec son slogan « le changement, c’est maintenant », risque d’y perdre le peu de crédit dont il bénéficie encore.
Des attaques de grande ampleur
Les fermetures de sites et les licenciements programmés chez PSA, dans l’ensemble de la filière automobile et au-delà, ne sont pourtant qu’une des faces de la violente chute de l’emploi, ici comme dans l’ensemble de l’Europe ou aux Etats-Unis. En France, ce sont plus de 3 millions de chômeurs « officiels », c’est-à-dire en réalité près de 5 millions de personnes sans emploi. Avec toujours celles et ceux qui sont le plus frappés : les femmes (11,5 %), les jeunes (15 % pour les moins de 25 ans) et les « séniors » (plus de 20 % des plus de 50 ans). Plus d’un chômeur sur trois est inscrit depuis plus d’un an, c’est-à-dire considéré comme chômeur de longue durée. L’approfondissement de la crise, c’est avant tout la perte du travail et donc du salaire, c’est-à-dire du seul moyen de vivre pour des millions de salariés. Toutes les branches professionnelles sont frappées : Arcelor, Petroplus, PSA, Carrefour, Fralib, Technicolor, Pilpa, Plyrosol, Doux, Sanofi, Air France, CIF… et la liste s’allonge chaque jour. Cette longue, toujours plus longue litanie est connue parce ces fermetures de site, ces plans de licenciements donnent lieu à des ripostes des salariés ou concernent des groupes dont la visibilité industrielle, sociale ou politique est importante. Mais les drames ne sont pas moins grands quand il s’agit de la liquidation de centaines de milliers d’emplois rendus invisibles dans le cadre des plans de départs « volontaires », des ruptures conventionnelles et des licenciements individuels. Si les échecs partiels ou complets de mobilisations peuvent laisser un goût amer et peser sur les luttes futures, l’absence de lutte et l’isolement sont encore plus redoutables.
Négocier des reculs ?
Dans ce contexte, les projets gouvernementaux ne vont pas dans le bon sens. Pour imposer l’austérité nécessaire, notamment, afin de respecter la règle d’or des déficits budgétaires, le pouvoir applique d’ailleurs au secteur public la même politique de suppression d’emplois en décidant notamment le non remplacement de deux départs en retraites sur trois hors Education nationale et secteur hospitalier.
En matière de licenciements, le volontarisme pré-électoral du gouvernement a fait long feu. Les rodomontades de Montebourg à l’encontre de PSA ou de Sanofi se sont transformées en plates critiques sur les conséquences ou l’ampleur des suppressions de postes de travail induites par les réorganisations. Chez PSA, le dialogue social au travers d’une rencontre tripartite (gouvernement, direction, syndicats) consiste à étudier si le nombre de licenciements peut être revu à la baisse et le suivi des licenciés renforcé.
Chez Sanofi, après avoir, en juillet, jugé « inacceptable qu’il y ait la moindre destruction d’emplois » dans un groupe qui fait 5 milliards d’euros de bénéfices, le ministre du Redressement productif est aujourd’hui prêt à accepter la réorganisation et ses 1 200 à 2 500 suppressions d’emplois « si les syndicats sont d’accord ».
Mais au-delà des prises de positions immédiates, c’est aussi un avenir de reculs sociaux que prépare le gouvernement. Le « Document d’orientation – Négociation nationale interprofessionnelle pour une meilleure sécurisationde l’emploi » du 7 septembre 2012 fixe le cadre de ses projets : « une volonté a également été partagée : entre “déréglementation” et “sur-réglementation”, il y a une voie : celle du dialogue social. À condition qu’il soit loyal, confiant, transparent, apaisé et qu’il permette ainsi l’équilibre “gagnant-gagnant” des accords ».
Ce texte véhicule deux idées, l’une et l’autre lourdes de danger : premièrement, conforter les organisations syndicales dans la logique de concertation, de dialogue social prenant le pas sur la construction du rapport de forces indispensable pour faire reculer patronat et gouvernement ; deuxièmement, fort de cette caution, faire accepter par les salariés les reculs sociaux contre de prétendues garanties de l’emploi.
Malheureusement, ces idées sont déjà largement partagées. Aujourd’hui, les partis de gauche comme la majorité des directions syndicales les reprennent à leur compte. Le Parti de gauche et le PCF se cachent derrière le respect de prétendues prérogatives syndicales pour ne rien opposer aux propositions du gouvernement. A la fête de l’Humanité, le rassemblement sur une même tribune d’une vingtaine de représentants d’entreprises concernées par les licenciements ou les fermetures de sites n’a été qu’un défilé de récits de luttes, sans qu’aucune perspective concrète ne soit mise en avant.
Côté syndicats, pour la CFDT, la CGC et la CFTC, aucune ambiguïté, l’accord est complet et Chérèque est même à l’initiative, en toute complicité avec le MEDEF : pour sortir de la crise, il faut partager les efforts, accepter des sacrifices. Selon eux, les accords emplois-compétitivité permettraient des engagements réciproques : reculs sur les garanties statutaires en matière d’emploi, sur les conditions de travail, sacrifices en matière de salaires contre de prétendues garanties sur l’emploi. Quant à FO, nous sommes habitués au décalage entre les déclarations radicales de la direction et la pratique des organisations FO sur le terrain. La confédération désavouera-t-elle nationalement ce que ses représentants ont signé à SevelNord ? Côté CGT, Bernard Thibault affirme que la confédération est prête à « débattre de la compétitivité » tout en lui donnant un autre contenu : garantie du pouvoir d’achat, pouvoirs accrus des salariés au travers des comités d’entreprises, et sécurité sociale professionnelle. Mais la logique infernale du dialogue social est là : accepter de débattre de l’inacceptable, c’est déjà cautionner une partie de ses résultats.
C’est toute la logique des accords emplois-compétitivité mis en place chez SevelNord ou à Air France : convaincre de la nécessité de partager les efforts en associant les « partenaires sociaux » et en marginalisant les syndicats réfractaires – comme chez Fiat en Italie. Un éventuel refus légitimant les fermetures de sites et les suppressions d’emplois.
Construire la mobilisation
Si la voie du dialogue social est une impasse, celle de la mobilisation est semée d’embûches. Les profonds reculs sociaux encaissés ces trente dernières années, le vide idéologique laissé par l’effondrement du socialisme « réellement existant », la mise en évidence de la proximité des politiques sociales-démocrates avec celles du libéralisme triomphant fournissent le terreau d’une profonde résignation chez les salariés. L’affaiblissement des ripostes quotidiennes à l’exploitation, l’échec des grandes mobilisations sociales contribuent à un affaissement des organisations censées porter les mobilisations : syndicats et associations connaissent des crises de militantisme parfois dramatiques, qui laissent aussi souvent indifférents les premiers concernés.
Dans le même temps, l’approfondissement de la crise met à nu le système et la réalité des régressions sociales. Les attaques contre les salariés sont perçues comme insupportables, injustes et, manifestement, ce n’est pas sur les partis politiques qui se relaient au gouvernement que l’on peut compter. À leur échelle, les salariés de Fralib posent toutes les questions : expropriation d’Unilever qui a décidé de fermer le site de Géménos, remise en route d’une production assise sur des fournisseurs écologiquement responsables, gestion de l’entreprise par les salariés dans le cadre d’une SCOP. Comme le démontrent les Fralib, pour le changement maintenant, nous ne pouvons compter que sur notre mobilisation.
De fait, dans les entreprises concernées par les licenciements, les positionnements sont au départ très éclatés. Celles et ceux qui ont passé la cinquantaine sont usés physiquement et/ou moralement par le travail, se verraient bien partir même avec un chèque très insuffisant et très injuste au regard de ce qu’ils/elles ont donné au patron. Les plus jeunes, souvent en situation précaire, sont peu enthousiastes à l’idée de se battre pour garder ce boulot aliénant qui a usé leurs parents avant de les jeter comme des malpropres. Entre les deux, il y a celles et ceux qui ont subi les reculs, les défaites, qui en politique n’ont connu que les alternances sans alternative, Mitterrand-Chirac-Sarkozy. À PSA Aulnay ou chez Technicolor, le chantage au reclassement éventuel sur d’autres sites pourrait bien modérer la volonté revendicative de certains.
Malgré tout les résistances existent, les colères explosent. Sanofi, Arcelor, Technicolor, Plysorol, Sodimédical, Fralib, autant de noms d’entreprises qui riment avec résistance, autant de rassemblements, de manifestations où l’on hurle « on lâchera rien ! » Autant de combats qui posent deux questions essentielles.
Tout d’abord, comment gagner ? Toutes et tous sont conscients que ce n’est pas chacun dans son coin, dans sa boîte que l’on peut s’en sortir. Mais il n’est pas évident de mettre en place les échanges, les coordinations d’action quand déjà, dans sa propre boîte, il faut beaucoup d’énergie pour convaincre tous les salariés de se battre. Les fédérations ou confédérations syndicales, en refusant toute démarche de coordination, de centralisation, ne vont évidemment pas dans ce sens. Enfin, beaucoup de salariés sont conscients que la dimension internationale des restructurations nécessiterait de combler le gigantesque retard du mouvement ouvrier dans sa dimension internationale. De la Confédération européenne des syndicats à la Confédération syndicale internationale en passant par la toute nouvelle Fédération internationale de l’industrie, nous ne disposons que d’appareils bureaucratiques plus insérés dans les organismes étatiques, para ou supra étatiques que dans les luttes ouvrières.
Ensuite, face au déferlement de plans de licenciements, de fermetures de sites et aux négociations sur la compétitivité, nous devons construire une riposte autour d’un programme visant à repousser cette violente offensive antisociale. Nous refusons de nous enfermer dans les débats sur de prétendues surcapacités ou les délocalisations. Il ne s’agit que d’une classique crise de surproduction engendrée, d’une part, par une augmentation de la productivité arrachée au détriment de la santé des salariés et d’autre part, par la gabegie qui tient lieu de gestion capitaliste de la production. Pour y répondre les solutions « ouvrières » existent : réduction massive du temps de travail, interdiction du travail de nuit, posté, de week-end, baisse des cadences. Ces revendications sont indissociables de la mise en cause du pouvoir patronal. C’est pourquoi nous défendonsl’interdiction des licenciements, l’expropriation des patrons licencieurs, le contrôle de l’argent public, la responsabilité collective des patrons d’une filière (automobile, chimie…).
Faute de défendre clairement de telles revendications, le danger est grand de conforter les salariés dans leur conviction que les fermetures, les licenciements sont inévitables. Et qu’il vaut mieux se battre pour un bon chèque que pour la défense de notre emploi, c’est-à-dire de notre salaire, de notre seul moyen de vivre.
Nos revendications ne sont pas des thèmes de débats, de propagande, de discours pré-électoraux mais des objectifs de mobilisation, tous ensemble, maintenant.
« Révolutionner ! »
« La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les rapports de production, c’est-à-dire l’ensemble des rapports sociaux (…) Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes (…)
Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations.
Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l’adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. »
Manifeste du Parti Communiste
Responsabilité partagée ?
« J’appelle à la responsabilité des actionnaires. J’appelle à la responsabilité des syndicats », à la « responsabilité économique » des syndicats pour ne pas « affaiblir » le constructeur, déclare ArnaudMontebourg, ministre du Redressement productif. Pour lui, s’il « est important de défendre les salariés qui risquent de perdre leur travail et de reformater, renégocier et diminuer le plan social », les syndicats doivent penser à « tous ceux qui restent », les « 100 000 salariés qui restent à Peugeot ». « Affaiblir Peugeot, ne pas l’aider si elle en a besoin, c’est risquer la descente aux enfers pour ceux qui restent », a-t-il déclaré, ajoutant que « faire la guerre ne paraît pas le bon terme ».