Entretien. Les cheminotEs se sont massivement mobilisés les 9 et 31 mars. Ils le seront également les 26 et 28 avril. Dans ce secteur, on parle à la fois de loi El Khomri, mais surtout de décret-socle ferroviaire. Pour faire le point, nous avons rencontré Matthieu Chapuis, aiguilleur à Paris-Est et militant de SUD-Rail, ainsi qu’au NPA. Dans cet entretien, nous abordons avec lui la question des attaques spécifiques contre les cheminotEs, l’état de la mobilisation actuelle, ainsi que les perspectives...
À la SNCF, on parle de loi travail, de décret-socle ferroviaire, de convention collective nationale ou encore d’accord d’entreprise. Peux-tu nous expliquer tout cela ?
Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence et à la suite de la réforme ferroviaire de 2014, l’actuelle réglementation du travail en vigueur à la SNCF – le décret RH077 – est abrogé à compter du 1er juillet 2016. Pour le remplacer, le gouvernement souhaite publier un décret-socle, puis négocier une convention collective de la branche ferroviaire entre patronat et syndicats. Enfin, la direction dit vouloir proposer un accord d’entreprise. À travers cette fusée à trois étages, le gouvernement et le patronat souhaitent dynamiter les conditions de travail des cheminotEs. Les propositions du gouvernement concernant le décret et celle du patronat pour la convention collective en témoignent : moins de repos, de repos double, de week-end non travaillé, plus de flexibilité, etc.
Avec cette réforme, ils veulent aligner les conditions de travail des 160 000 cheminotEs de la SNCF sur celles des 6 000 du privé. Nous revendiquons l’inverse : que ces derniers viennent au minimum sur nos conditions de travail. Nous refusons de travailler un seul jour de plus ni même de perdre un seul euro. L’objectif est de rendre rentable le secteur du chemin de fer en cassant les acquis des travailleurs. Guillaume Pepy, le PDG de la SNCF, l’a d’ailleurs annoncé : avec ces négociations, il veut gagner 30 % de productivité sur le dos des cheminotEs.
Pour ce qui est de la loi travail, ça n’aura un impact « que » sur la question de la hiérarchie des normes, ainsi que sur le fait qu’un accord d’entreprise doit être renégocié tous les 5 ans. Cependant, on voit que la logique est la même : que ce soit dans le ferroviaire ou dans le reste du monde du travail, on attaque nos droits et continue dans la logique du « travailler plus pour gagner moins »...
Quelle a été depuis la réaction des collègues ?
Dans la tête de tous les cheminotEs, l’année 2016 était celle d’une attaque d’ampleur contre leurs conditions de travail, date annoncée depuis bien longtemps. Le projet de décret du gouvernement était donc attendu et lorsqu’il a été annoncé, le 12 février dernier, il a fait l’effet d’une bombe. Près de 20 jours de repos en moins selon les régimes de travail par an, des week-ends non travaillés divisés par deux, tout comme les repos double, des amplitudes horaires élargies, une souplesse accrue pour les plannings, la notion de déplacement attaquée. Une véritable saignée contre nos conditions de travail ! La réaction des collègues était donc à la colère et à la volonté de ne pas se laisser faire.
Le même jour était également annoncée la loi travail El Khomri. Nombre de cheminotEs ont saisi que c’était une attaque du même type qu’était en train de subir le reste du monde du travail. Pour beaucoup d’entre eux, il devenait évident qu’il fallait mener de front la bagarre contre le décret-socle ferroviaire et le projet de loi travail. Qu’il y avait là une bonne occasion de faire le tous ensemble.
Il y a déjà eu deux jours de grèves en mars. Comment s’est déroulé ce début de mobilisation ?
Nous avons eu une première journée de grève le 9 mars dernier, où la grève fut majoritaire à l’appel de la CGT, de l’UNSA, de SUD-Rail, de la CFDT et de FO sur un préavis unitaire. De nombreux rassemblements et AG se sont tenus ce jour-là, chose inhabituelle dans l’entreprise pour des journées carrées. L’atmosphère était à la combativité.
Puis il y a eu la journée du 31 mars, où les organisations syndicales ont commencé à tergiverser, avec des appels à la grève distincts de la CGT, de SUD-Rail et de FO. L’UNSA et la CFDT, elles, ne voulaient pas s’associer nationalement à une date contre la loi El Khomri... La CGT voulait parler uniquement de la loi travail, afin que les cheminots gardent leur propre calendrier de mobilisations sur le décret-socle. De plus, elle refusait de se retrouver en tête à tête avec SUD-Rail, cela pour garder une place centrale avec l’UNSA et la CFDT. Elle refusait également d’appeler aux AG afin d’éviter que la grève ne puisse être reconduite. SUD-Rail appelait à débattre de la grève reconductible dans les AG, mais toutes les équipes ne l’ont pas porté, et celles qui ont essayé n’ont pas eu de résultats significatifs. Avec une situation si peu lisible, le taux de grévistes s’est quelque peu tassé, passant à un peu plus de 35 %.
Même si des équipes militantes se sont formées avec les deux premières journées, parfois au travers de comités de mobilisations, l’ambiance est un petit peu retombée, et certains militants sont démoralisés.
Cette semaine, les cheminots sont appelés à faire grève les 26 et 28 avril. Que se passe-t-il ?
Cela renforce un peu plus le climat de confusion. L’appel à deux dates successives en une semaine, mais non reconductibles, ne donne pas le sentiment aux collègues que se soit une stratégie victorieuse. Surtout que la CGT continue de séparer décret-socle (le 26) et loi El Khomri (le 28).
Pour autant, les prévisions de circulation pour la journée du 26 montrent que la grève sera encore forte. C’est à l’image de la situation dans laquelle nous sommes. Les cheminotEs veulent l’unité de leurs organisations. Beaucoup d’entre eux se disent prêts à partir en reconductible, car c’est seulement avec un tel rapport de forces que l’on fera reculer patronat et gouvernement. Ils sentent que la CGT est dans l’erreur en ne lançant pas une grève reconductible dès maintenant combinant décret-socle et loi travail... mais ne veulent pas y aller sans elle. Et malgré cela, peu confiant en leurs propres forces, ils sont encore trop peu nombreux à militer pour la grève, laissant ainsi les clés de la mobilisation dans les mains de la direction de la CGT.
Quelles sont alors les perspectives de la mobilisation ?
Il faut déjà réussir les 26 et 28 avril. Se saisir de ces dates pour organiser des AG, remobiliser et recruter de nouveaux militants de la grève, débattre d’un plan d’actions vers la grève reconductible, aller rediscuter avec tous les collègues, ne pas s’arrêter de convaincre largement autour de nous.
Rien n’est encore joué. SUD-Rail et FO n’ayant pas les forces suffisantes pour appeler à une reconductible digne de ce nom, il paraît aujourd’hui de plus en plus évident que c’est la CGT qui donnera le coup d’envoi. Même si elle souhaiterait la remettre au plus tard possible, sa direction parle en interne de la date du 17 mai, d’autant que ça pousse à la base et que de nombreux syndicats locaux ont des fourmis dans les jambes.
Dès le lancement de la reconductible, les cheminotEs devront prendre en main leur grève : en participants à des AG souveraines et démocratiques, en faisant des actions, en militant quotidiennement dans la grève pendant les piquets de grève et les tournées. La mobilisation contre la loi El Khomri dans le reste du monde du travail ainsi que les Nuits debout sont des éléments qui peuvent permettre de maintenir un climat favorable à la combativité, voire aider à faire converger les luttes. Il nous faudra donc tisser des liens et être un des éléments moteurs du tous ensemble !
Propos recueillis par un correspondant