C’est une grève peu ordinaire qui a duré un mois dans une « entreprise » à la visibilité exceptionnelle. Dans ce secteur à mission de service public, le droit de grève est encadré notamment par une obligation de préavis déposé par au moins une organisation syndicale représentative. C’est dire que la place et le rôle des organisations syndicales y sont très importants.
La grève a démarré sur quatre préavis autour des attaques annoncées par la direction : réduction du nombre d’orchestres, externalisation notamment des services d’entretien et de gardiennage, regroupement d’émissions des radios locales et surtout la suppression, au total, de 330 emplois.
Plus généralement, les personnels ont réagi à une volonté de réduire la diversité culturelle du service public à sa plus simple expression sous prétexte d’économies. En janvier, le conseil d’administration avait voté un budget 2015 prévoyant un déficit (pour la première fois de l’histoire de Radio France) de 21,3 millions d’euros sur un budget de 685 millions, alimenté essentiellement par une fraction de la redevance qui représente environ 10 euros annuels par Français, soit 80 centimes par mois et ne justifie évidemment pas la purge annoncée de 50 millions d’euros.
Journalistes, opérateurs, agents de sécurité, bruiteurs, réalisateurs, salariés de l’entretien, à Paris et dans l’ensemble des stations régionales, chacun était concerné par ces attaques et de ce fait fortement mobilisé malgré la diversité des métiers, statuts, horaires ou positionnements syndicaux.
Dans le même temps, le discrédit du PDG, Mathieu Gallet s’est confirmé tout au long de la lutte. Chargé par le gouvernement de dégraisser l’entreprise, il se présentait comme une victime, persécutée par Le Canard Enchaîné. Refusant systématiquement de recevoir les salariés et les syndicats, il ajouta régulièrement au ridicule en affirmant ne voir que 7% de grévistes, quand une majorité des rédactions et des radios locales étaient en grève.
La tenue journalière d’assemblées générales réunissant de 300 à 500 salariés témoignait de la solidité du mouvement, avec une caisse de grève qui atteindra près de 100 000 euros. Alors que les colères et inquiétudes multiples s’y exprimaient, on sentait aussi les fragilités dues à la parcellisation, à la précarisation et à la frilosité de certains syndicats. L’intersyndicale convoquait ces assemblées générales sans ordre du jour précis, avec un vote journalier sur la reconduction de la grève. Elles étaient un lieu de parole où la détermination, la compréhension des enjeux politiques côtoyaient l’émotion. Mais il y eut peu d’initiatives visant à rendre véritablement les grévistes acteurs et actrices de leur mouvement, à donner de la visibilité à la grève hors des murs de la Maison ronde.
Cette absence d’appropriation de la grève par les salariés a permis l’incroyable reprise du travail imposée par l’intersyndicale. Les dernières propositions se résument à celle du médiateur, c’est-à-dire de vagues promesses jamais quantifiées et un seul engagement : un vrai dialogue social pour la mise en œuvre du… plan Gallet. Si certains syndicats ne s’étaient engagés dans la grève qu’à reculons, d’autres se sont contentés de promesses catégorielles. Pour ceux qui, comme la CGT, ont appuyé le plus clairement la mobilisation, c’est le respect de l’unité syndicale qui a prévalu sur l’unité dans la lutte des salariés. Avec le risque de conforter au bout du compte un anti-syndicalisme virulent.
Suite à ces évènements, des personnels syndiqués et non syndiqués ont lancé le 28 mai une Coordination de Radio France, dont l’objet est de continuer à se défendre ensemble contre les menaces et attaques envers le service public.
Robert Pelletier