Marine, 32 ans, est professeure d’arts appliqués en lycée professionnel. Elle est « seum_euse » sur les réseaux sociaux. Depuis 2017, elle propose sur Internet de dessiner gratuitement et/ou de prendre des témoignages écrits sur les discriminations et les injonctions liées au corps. Pour visibiliser les corps de la vraie vie, peu ou pas montrés dans la société, notamment pour les femmes grosses, maigres, racisées, handi, etc. Un parcours de femme, artiste et féministe.
Pourquoi dessiner les corps ?
Je milite pour une plus grande diversité dans la représentation des corps, contrairement aux photos, dessins de magazines. La représentation des corps est politique. Dans mon travail, tout est articulé autour de la problématique suivante : comment montrer des corps, les corps, peut aider à lutter contre les oppressions et les discriminations ? Témoigner permet à des femmes, et aussi à des hommes gays, de se réapproprier leur corps, de s’accepter, se libérer. De témoigner que l’on n’est pas pas seulEs à avoir vécu des agressions.
Comment ce projet t’est-il venu ?
J’ai toujours dessiné les corps. Puis je me suis rendu compte que la représentation des corps, et notamment ceux des femmes, est très politique. Par exemple, les femmes subissent des injonctions féroces de la mode. Moi, j’étais ado dans les années 2000, et partout ce n’était que des corps de femmes extrêmement jeunes, des corps maigres et blancs. Alors moi, j’étais persuadée de ne pas être comme il fallait, car j’étais trop grosse. Cela a entraîné beaucoup de troubles alimentaires.
Il faut que dans les magazines, les films, partout, les corps présentés soient représentatifs de la réalité. Qu’on arrête de forcer les jeunes à s’affamer pour ressembler à toutes ces « gravures de mode » ! Notons au passage que beaucoup de vedettes se sont vues obligées par les maisons de disque, les studios de cinéma, de suivre un régime pour maigrir, voire de faire de la chirurgie pour modifier une ou plusieurs parties de leur corps, par exemple, Jennifer après la Star Ac et Britney Spears.
Quels sont les thèmes les plus abordés ?
Ce sont tous les traumas liés aux violences, mais aussi les discriminations vécues par les personnes handis ou racisées. Quand il s’agit d’un témoignage de viol, il n’y a pas de dessin, seulement le récit.
Si on était habitué à de vrais corps de la vraie vie, cela aiderait énormément les femmes, et toutes les personnes discriminées, à se réconcilier avec leur corps. Dans un de ses derniers films, Disney a décidé que la Petite Sirène serait noire, cela a été une joie et un bienfait immense pour les petites filles noires. Il y a eu aussi beaucoup de réactions hostiles, ce qui prouve que le combat contre les discriminations est un long et difficile chemin.
Qui sont les personnes qui témoignent ?
La grande majorité sont des femmes. Les personnes qui témoignent ont entre 25 ans et 45 ans dans leur grande majorité. Très très peu de femmes au-dessus de 50 ans me contactent, l’invisibilisation des corps vieillissants dans notre société du paraître est encore un grand tabou. Il y a quelques hommes trans et gays, rarement des hommes cis, hétéros.
Pourquoi seum_euse ?
C’est un projet féministe engagé, militant. Dans « seum_euse », on retrouve « La Semeuse », l’allégorie d’Oscar Roty qu’on retrouvait sur les pièces de monnaie et les timbres, et « seum », qui veut dire être en colère. Je veux dire que nos colères sont légitimes, qu’il faut semer des graines et éveiller les consciences aux discriminations vécues par de nombreuses personnes quant à leur corps.
As-tu des retours des personnes qui ont accepté de témoigner et d’être dessinées ?
Elles sont souvent déjà dans un processus de reconstruction après des traumas. Elles me disent que cela leur a fait du bien. Accepter de montrer son corps, c’est aussi une manière de retrouver la fierté de soi-même, de prendre ou reprendre la place qu’on mérite.
De nombreuses artistes, chacune dans leur domaine, apportent leur contribution au combat féministe, avez-vous des liens ?
J’aime particulièrement les BD qui questionnent les faits de société, les questions de genre, les personnes racisées, la parentalité ou la non-parentalité, d’un point de vue féministe. Je suis donc en contact avec plusieurs artistes qui travaillent sur ces questions. Nous échangeons sur nos projets, nos pratiques. J’apprécie particulièrement le travail de maedusa_gorgon par exemple.
As-tu de nouveaux projets ?
Je donne des cours en ligne et j’interviens dans des ateliers de maisons de quartier. Depuis quelques mois, j’anime des conférences où je parle de ma propre histoire, de mon parcours, de mon projet artistique. Chaque notion, chaque thématique, est expliquée et présentée dans l’ordre où les questions sont arrivées dans mon parcours de vie personnelle. Je suis déjà intervenue à la Maison des femmes de Montreuil et à Alençon, invitée par le Collectif des droits des femmes 61. C’est l’occasion souvent pour des femmes de mettre des mots sur les discriminations qu’elles vivent. Pour le mois de l’égalité, en mars, j’exposerai à l’Hôtel de Ville de Laval et j’y tiendrai une conférence le 20 mars. Je suis super partante pour venir partout où l’on m’invite !
Propos recueillis par Christine C.
Pour en savoir plus : Insta : @seum_euse et Site : www.seumeuse.com