L’insulte suprême a été faite le 26 juillet 2007, au sein même de cette université qui porte son nom, lorsque Nicolas Sarkozy est venu dire à la jeunesse africaine que « l’homme africain n’est pas entré dans l’histoire ». Cheikh Anta Diop a dû se retourner dans sa tombe, lui qui justement, a passé sa vie à montrer tous les apports du nègre africain à la civilisation mondiale. La riposte ne s’est d'ailleurs pas fait attendre et 23 intellectuels africains et français ont répondu à Sarkozy[i]. Il fallait exorciser le mal dans l’immédiat, laver l’affront qui a été fait au dernier pharaon de l’Afrique ainsi qu’à toute l’Afrique.
Le 7 février 2012 marquera la 26ème année de la mort de Cheikh Anta Diop (à l’âge de 63 ans), un des plus grands penseurs nègres si ce n’est le plus grand de tous, par son apport à la dignité de l’homme noir mais aussi sa vision politique d’une Afrique fédérale fière et debout. Car Cheikh Anta Diop était tout à la fois historien, anthropologue que physicien et homme politique anticolonialiste. L’homme ne se fixait aucune limite intellectuelle et transcendait par son esprit toutes les activités intellectuelles. Arrivé en Paris à l’âge de 23 ans pour y étudier la Physique et la Chimie, il se tourne très rapidement vers l’histoire et les sciences sociales, développant une vision radicalement différente de l’Égyptologie pharaonique classique. Cheikh Anita Diop affirme que l’Égypte antique était peuplée d’africains noirs, ce que beaucoup d’égyptologue de l’époque ne pouvait simplement pas entendre. Sa thèse (refusée une première fois en 1951 par l’université) ne sera acceptée que 9 ans plus tard en 1960. Publiées cependant en 1954 par Présence africaine sous le titre de « Nations nègres et cultures : De l’antiquité nègre égyptienne aux problèmes culturels de l’Afrique noire aujourd’hui », les thèses de Cheikh Anta Diop rencontrèrent un grand succès dans les milieux intellectuels africains mais pas seulement.
L’œuvre de Cheikh Anta Diop contribua à la reconnaissance d’une Égypte pharaonique nègre, bien que les égyptologues européens de l’époque aient beaucoup de mal à l’admettre. Il était effectivement bien difficile d’accepter que les maîtres des pyramides, des calculs mathématiques si complexes, qui ont enseigné la géométrie à Pythagore et à Thalès puissent être de la même couleur noire que ceux là même qu’on domine et colonise, en prétendant leur apporter la civilisation. Comment admettre en effet que Ramsès II, Toutankhamon et Akhenaton soient des nègres…Et pourtant, les démonstrations de Cheikh Anta Diop sont claires comme l’eau de roche. « Pour nous, écrit Cheikh Anta Diop, le retour à l’Égypte dans tous les domaines est la condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines avec l’histoire, pour pouvoir bâtir un corps de sciences humaines modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d’être une délectation sur le passé, un regard vers l’Égypte antique est la meilleure façon de concevoir et de bâtir notre futur culturel. L’Égypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture occidentale ». Cheikh Anta Diop ira jusqu’à faire des tests de mélanine sur des momies égyptiennes dans son laboratoire de datation au carbone 14 créé en 1966 (le premier en Afrique) à l’université de Dakar (aujourd’hui rebaptisée Université Cheikh Anta Diop). Sa formation pluridisciplinaire lui aura permis d’accéder à la vérité que personne ne voulait admettre.
Sa vision politique aussi était en contradiction avec celles des hommes politiques de son temps notamment celles de Léopold Sédar Senghor, l’homme de lettres, amoureux de la langue française. Cheikh Anta Diop affirmait que c’est dans les langues locales qu’il fallait enseigner les sciences et faire l’éducation des Africains. Opposant politique à Senghor dès les indépendances en 1960, il crée dans la clandestinité le RND (Rassemblement National Démocratique) en 1976, un parti qui se réclame du panafricanisme. Diop défend l’idée d’une Afrique fédérale tournée vers ses propres valeurs et son histoire riche et non corrompue par l’Europe (conscience historique) qui seule permettra l’émergence de l’Afrique et son développement.
Mais si Cheikh Anta Diop a tenu à défendre la dignité de l’homme noir, c’est pour contribuer à un idéal bien plus grand encore, celui de l’homme tout court. Comme il le précise lui-même : « Nous aspirons tous au triomphe de la notion d'espèce humaine dans les esprits et dans les consciences, de sorte que l'histoire particulière de telle ou telle race s'efface devant celle de l'homme tout court. »
Espérons donc que Sarkozy et son scribe[ii] méditent ces sages paroles du dernier pharaon noir. L’histoire n’appartient pas à tel ou tel peuple, elle appartient à l’homme tout court.
Moulzo
[i] L’Afrique répond à sarkozy, collectif, Editions Philippe Ray, 2008[ii] Henri Guaino la plume de Sarkozy pour son discours de Dakar